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Huit photographes d’origine marocaine exposent leurs œuvres jusqu’au 17 juin au festival PhotoMed. Leurs clichés révèlent un Maroc que le tourisme ignore : celui des usines, des centrales thermiques ou des arbres en périphérie urbaine.

Image principale : détail d'une photographie sur les centres de rétention en Suède, par Mehdi Chafik

Le Maroc. Ses usines à gaz, ses toits, ses arbres, sa nudité. Au festival de la photographie méditerranéenne, PhotoMed, qui s’ouvre mercredi à Sanary-sur-Mer, près de Toulon (sud de la France), inutile de chercher les clichés touristiques et pittoresques d’un Maroc haut en couleur. Ces jeunes photographes marocains sont allés à l’école de la photographie internationale. Leur paysage est hors-champ : des zones industrielles et périurbaines jusqu’à l’intimité des consciences.

"Au final, leur écriture pourrait être celle d’un photographe d’un autre pays", résume la commissaire de l’exposition, Mouna Mekouar. L'éternelle question de savoir si le regard que l’on porte sur son univers familier peut se détacher au point de se confondre avec celui de l’étranger, nourri d’un imaginaire venu d’ailleurs.



Lorsque Hassan Hajjaj, qui vit entre Londres et Casablanca, met en scène l’imagerie traditionnelle marocaine - des salons où fumer la chicha, des tableaux féminins – il montre qu'il a intégré les codes de la causticité britannique. Les hijabs sont siglés Gucci ou Puma, les coussins mœlleux reposent sur des cagettes en plastique Coca-Cola.

En cherchant à faire parler les arbres du Maroc, le photographe Khalil Nemmaoui évoque par la même occasion des zones de nature meurtrie en périphérie urbaine, celles qui ne sont pas pensées par l’urbanisme mais déjà grignotées de manière aléatoire par l’expansion des villes.

Autre patrimoine méconnu du Maroc : les vastes complexes industriels que Laila Hida parvient à rendre sculpturaux. Cette jeune autodidacte, née en 1983 à Casablanca, a débuté en travaillant pour les magazines de mode parisiens. Son envie "de revenir au Maroc qui bouge, de participer au bouillonnement artistique", explique-t-elle, l’a amenée à Marrakech. Elle cartographie les alentours de la ville et découvre des usines et des centrales thermiques à l’aspect inattendu et pittoresque. Pour rendre hommage à ces espaces que personne ne voit, elle les détourne en univers utopique.

À travers ses clichés, les espaces publics deviennent également le support d’un jeu de surimpression de photos de nu – son propre corps. "C’est un travail introspectif que j’ai commencé à Paris, en 2009, et qui raconte la manière que nous avons, nous, les filles marocaines, d’accepter notre corps, de sortir de notre conditionnement culturel, d’aborder la virginité et le regard de l’homme. J’ai voulu exprimer la libération progressive des femmes."

Pour Laila Hida, et un certain nombre de ses contemporains, le Maroc d’aujourd’hui offre des opportunités inédites. Ils travaillent pour des magazines locaux à l’imagerie léchée, participent à l’expansion des galeries d’art contemporain, ou honorent des commandes. Khalil Nemmaoui est, par exemple, rémunéré par des sociétés industrielles pour suivre des chantiers sur plusieurs années. "Depuis deux ou trois ans, on voit chez les collectionneurs et dans les entreprises cette envie d’avoir un regard plutôt qu’une belle image", note la commissaire Mouna Mekouar.

D’autres artistes ont choisi de s’installer à l’étranger, tel Mehdi Chafik qui a quitté Casablanca à l’âge de 19 ans pour étudier la photographie en France, puis à Dublin, avant de s’imprégner finalement de l’esthétique de l’Europe du Nord. Il a effectué en Suède un travail sur les centres d’accueil pour demandeurs d’asile. "Ce sujet sur les réfugiés me parle de mon identité marocaine, évidemment. Il s’agit pour moi de développer mon regard sur ces centres, en tant qu’étranger qui a l’expérience du voyage et du déracinement", explique-t-il.

Auteur d’une série de portraits de Suédois en très gros plan et d’un travail sur les jeux d’adolescents dans un square de Dublin, Mehdi Chafik aimerait retourner au Maroc, capter "la nouvelle identité qui se construit là-bas et au Maghreb en général, après les révolutions du printemps 2011. Il faut que l’impact des nouvelles lois, notamment celle sur le statut des femmes, soit documenté", décrit-il. L’envie, malgré tous les voyages, de rentrer au pays pour y poser un regard neuf.

Second festival de la photographie méditerrannéenne (PhotoMed), du 23 mai au 17 juin, à Sanary-sur-Mer. www.festivalphotomed.com