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Tripoli, la grande ville du Nord, s'embrase sur fond de crise syrienne

Des affrontements armés entre Libanais pro en anti-régime syrien se sont poursuivis, ce lundi, à Tripoli, dans le nord du Liban, laissant craindre un embrasement du pays sur fond de crise syrienne.

Tensions confessionnelles chroniques, poussée de fièvre salafiste, pressions politiques sur fond de crise syrienne... : tous les ingrédients d’un cocktail explosif sont concentrés à Tripoli, principale ville sunnite du Liban-Nord. Depuis samedi justement, la cité côtière est en proie à des affrontements au lance-roquettes et à l'arme automatique qui ont fait huit morts et 76 blessés, selon le dernier bilan dressé par les médias locaux.
"Risque réel d’embrasement"
"La situation n’a pas évolué, la tension est très vive dans la ville. Le gouvernement doit agir vite pour trouver une solution politique avant que cette crise n’embrase le reste du Liban", prévient l'ancien député de Tripoli Misbah Ahdab, joint au téléphone par FRANCE 24. Les combats de rue, qui se sont poursuivis ce lundi, opposent des résidants des quartiers de Bab el-Tebbaneh, majoritairement sunnites et hostiles au régime syrien, et de Jabal Mohsen. Ce secteur est peuplé d'alaouites, réputés proches du régime syrien, dirigé par leur coreligionnaire, le président Bachar al-Assad. Malgré les appels au calme de plusieurs dirigeants politiques et dignitaires religieux, les violences compliquaient toujours, lundi, le déploiement de l'armée libanaise dans les deux quartiers, selon un correspondant de l'AFP.
"Tripoli, qui est géographiquement proche de la frontière avec la Syrie, subit les soubresauts du soulèvement contre le régime syrien depuis le début de la crise il y a 14 mois, explique Khattar Abou Diab, politologue spécialiste du monde arabe et enseignant à l’université Paris-XI. Mais cette fois, il y a un risque réel d’embrasement dans le pays car, contrairement aux fois précédentes, les affrontements fréquents dans cette ville n’ont pas encore été rapidement circonscris par les forces de sécurité".
À l’origine de cette flambée de violence, l’arrestation, samedi, d'un salafiste âgé de 27 ans, Chadi Mawlaoui, soupçonné par les autorités libanaises "d’avoir contacté une organisation terroriste". Selon ses proches, son arrestation par un service de sécurité n’est due qu’à sa sympathie pour le mouvement de révolte en Syrie et pour les réfugiés syriens au Liban. "Le service de sécurité qui a arrêté le suspect est dirigé par un chiite, considéré par certains comme un proche du Hezbollah prosyrien, ce qui a mis le feu aux poudres dans cette ville qui a tant souffert de l’occupation syrienne (1976-2005)", décrypte Khattar Abou Diab.
"Damas presse Beyrouth de choisir son camp"
Une manifestation de plusieurs dizaines de personnes dénonçant cette arrestation qui s’est greffée à un sit-in en faveur de détenus islamistes organisé depuis plusieurs jours sur la place principale de la ville a dégénéré ensuite en affrontements entre pro et anti-Assad, plongeant la ville dans le chaos. "Cette arrestation fût, pour les milieux islamistes de Tripoli, la goutte qui a fait déborder le vase, d’autant plus que les sunnites sont persuadés que Damas a prémédité les évènements en exigeant l’arrestation d’activistes anti-Assad", souligne Khattar Abou Diab. Le jeune salafiste a été, quant à lui, inculpé lundi par la justice et ses partisans ont prévenu qu'ils maintiendraient leur mobilisation s'il  n'était pas libéré.
Contacté par FRANCE 24, un observateur, fin connaisseur du dossier libanais, affirme de son côté que le Premier ministre Najib Mikati, originaire de Tripoli et ami personnel du président syrien, subit actuellement "d’intenses pressions" de la part de Damas afin de choisir clairement son camp dans la crise syrienne en arrêtant les soutiens de la rébellion et les opposants syriens actifs au Liban. Depuis le début du soulèvement, la Syrie accuse en effet son voisin de ne pas contrôler sa frontière et de laisser passer des armes et des combattants qui viennent grossir les rangs de la rébellion. Un "laxisme" pour certains, une "sagesse" pour d'autres, qui exaspère le clan Assad, note l’observateur joint au téléphone.
"Politique de distanciation"
"Jusqu’ici, le gouvernement libanais était censé avoir opté pour une politique de distanciation en restant neutre vis-à-vis de la crise syrienne. Or, depuis quelque temps, il est clairement en train de donner des instructions pour soutenir le régime de Bachar al-Assad", renchérit de son côté Misbah al-Ahdab, membre de l’opposition. Selon ce dernier, Damas aurait intérêt à voir le conflit syrien s’étendre au Liban. "Bachar al-Assad cherche à favoriser la déstabilisation du Liban afin de détourner l’attention des évènements en Syrie", argumente-t-il.
Un avis que partage Khattar Abou Diab, qui affirme que la politique de distanciation du Liban avait fonctionné tant que le régime syrien était en grande difficulté, il y a encore quelques mois. "Le régime syrien pense avoir gagné la partie contre les rebelles et que sa solution sécuritaire a fini par payer, note-t-il. Il est donc temps pour lui de châtier le Liban et ceux qui ont aidé les rebelles et les réfugiés syriens, sachant que Tripoli est la ville qui a enregistré le plus de manifestations anti-Assad et qui sert par ailleurs de base arrière pour l’opposition".
Toujours est-il que les habitants de Tripoli se sentent abandonnés. Certains d’entre eux ont même choisi de fuir momentanément la ville pour se réfugier dans d’autres régions. "Il faut que le gouvernement intervienne non pas pour régler des comptes en prenant parti à Tripoli, mais pour aplanir les tensions et redonner confiance en la justice libanaise", conclut Misbah al-Ahdab. La balle est désormais dans le camp du gouvernement libanais.