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François Bayrou a pris une décision inédite dans l'histoire politique française en annonçant qu'il voterait pour François Hollande au second tour de la présidentielle. Un choix qui n'est pourtant pas dénué d'arrière-pensées. Analyse.

Il a franchi la ligne rose. À la surprise générale, François Bayrou, le candidat du MoDem, arrivé en cinquième position avec un peu plus de 9 % des voix au premier tour de la présidentielle, a annoncé qu'il voterait pour François Hollande lors du second tour, dimanche prochain. Une décision qui fait l'effet d'un coup de tonnerre dans le paysage politique français. Jusqu'à présent en France, le centre - dont le MoDem est l'héritier -, a toujours penché vers la droite de l’échiquier politique national. Ce positionnement inédit vaut donc aujourd'hui à son leader de s’attirer les foudres du parti présidentiel - et même de certains élus de son propre camp... - mais aussi les louanges du Parti socialiste (PS).

Si François Bayrou explique son choix par le rejet de la "ligne qu'a choisie Nicolas Sarkozy", qui "entre en contradiction avec les valeurs qui sont les nôtres", ce rapprochement entre le MoDem et le PS comprend aussi une dimension stratégique. Pour nombre d’observateurs, en effet, le troisième homme de 2007 cherche ainsi à faire renaître son parti de ses cendres.

Bayrou reprend vie dans la vie politique

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"Je ne prends pas ce vote comme un ralliement, en aucune façon"
En misant sur Hollande, François Bayrou cherche à assurer l'avenir du MoDem

Prendre parti, c’est éviter le délitement total du MoDem, tiraillé par de lourdes dissensions internes, jugent ainsi plusieurs analystes politiques. François Bayrou sort aujourd’hui de l’isolement dans lequel l'avait plongé son refus de se prononcer en faveur de Nicolas Sarkozy ou de Ségolène Royal, entre les deux tours de la présidentielle de 2007.

"Il reprend pied dans le jeu politique dont il avait été violemment exclu malgré ses 18 % de l’époque", ajoute Patrick Fluckiger, journaliste au quotidien régional L’Alsace. François Bayrou "ne pouvait pas rester plus longtemps hors-jeu : il aurait cuit à l'étouffée pendant les cinq ans à venir". Il fallait donc franchir le Rubicon. Et quel choix aurait-il pu faire en dehors de celui du candidat socialiste, après "avoir critiqué sans relâche les cinq années de Sarkozy ?", s’interroge Jacques Guyon, dans la Charente Libre.

Miser sur l’implosion de l’UMP

En ne soutenant pas l'UMP, Bayrou fait également un pari - risqué - sur l'avenir. Le leader du MoDem espère tirer profit d’une défaite de Nicolas Sarkozy, synonyme pour lui d’implosion - à plus ou moins long terme - du parti présidentiel. Si le président candidat perd le scrutin du 6 mai, Bayrou entend en effet redessiner en sa faveur le paysage politique français, en ralliant à lui les factions centristes issue du "dépeçage" de l’UMP, pour reprendre l'expression de Lionel Venturini, journaliste à L'Humanité. "Après le 6 mai, quel que soit le résultat du second tour, la droite aura rendez-vous avec elle-même. Avec ses démons comme avec ses valeurs", pronostique également Nicolas Demorand, directeur de la publication de Libération.

Enfin, sentant - depuis longtemps déjà - le vent tourner en faveur du candidat socialiste, le centriste a peut-être cherché à placer ses pions, à quelques semaines des élections législatives des 10 et 17 juin. "Le MoDem a besoin d'un groupe à l'Assemblée nationale [les groupes sont constitués au minimum de 15 députés réunis en fonction de leurs affinités politiques, NDLR]. Il vient de saisir la perche en s'inscrivant clairement contre la stratégie de Buisson", souligne Daniel Ruiz, journaliste au quotidien régional La Montagne, bien que François Hollande ait répété, ce vendredi, sur les ondes de la radio RTL, qu'"il n'y [avait] pas d'alliance qui se prépare, [...] pas de tractations, [...] pas de places qui soient échangées".

Pour Hervé Algalarrondo, journaliste au Nouvel Observateur, le calcul de Bayrou serait plus cynique. Celui-ci parierait sur l’échec économique d'une présidence Hollande pour redorer son blason et se présenter comme le sauveur de la France : "Il est convaincu que la crise n’est pas finie et que la gauche va très rapidement se heurter au mur des réalités tout autant qu’au mur de l’argent. Ce jour-là, Hollande se verra contraint de réorienter sa politique économique et ce jour-là, Bayrou sera disponible."