Les salles africaines programmeront-elles les films récompensés cette année au Fespaco ? Rien n'est moins sûr depuis qu'une télévision sud-africaine acquière les droits exclusifs de centaines de films. Une véritable razzia...
Au Fespaco, une chaîne de télévision privée fait une razzia sur la production cinématographique africaine financée par la France et s’arroge un monopole de diffusion. Depuis quatre ans, Mike Dearham, responsable des acquisitions pour la chaîne de télévision privée sud-africaine M-Net a acquis près de 500 films africains, dont le film “Ezra", du Nigérian Newton Aduaka , couronné Étalon de Yennenga au Fespaco 2007.
"Nous sommes intéressés par l'acquisition de droits exclusifs sur le continent africain", explique Mike Dearham, qui signe des chèques allant de trois mille à trente mille euros aux réalisateurs et aux producteurs présents au Marché international du cinéma africain (MICA) organisé en marge du Fespaco.
Les droits sont valables pendant vingt-cinq ans, sur toutes les diffusions effectuées sur le continent africain - et parfois au-delà -, qu'elles aient lieu en salles, via Internet, le câble, et même la téléphonie mobile lorsque cette technologie se sera développée en Afrique.
"Bientôt, M-Net sera le principal diffuseur de cinéma africain", assure Mike Dearham, sans donner de délai concernant le démarrage de ces diffusions.
66 films africains financés grâce à la France
En attendant, l’opérateur se contente d’assécher un marché déjà fragile, financé en grande partie par des fonds publics français et européens.
"Nous aurions préféré qu'un opérateur français diffuse le cinéma africain que nous finançons, mais si les producteurs décident de céder des droits exclusifs à M-Net, nous ne pouvons rien faire. C’est la loi du marché", regrette François Bellorgey, responsable de la coopération cinématographique avec l’Afrique au Ministère français des Affaires étrangères.
Pendant quatre ans, le Fonds Cinéma du ministère des Affaires étrangères a consacré une enveloppe de 8,5 millions d’euros à la production de films africains. Une enveloppe qui a permis d'en financer 66. Le secrétaire d’Etat français à la Coopération et à la Francophonie, Alain Joyandet, est venu au Fespaco réitérer l’engagement de la France dans la production de films africains – qui s'élève à dix millions d’euros pour les cinq années à venir -, afin de promouvoir, sur grand écran, "les valeurs de la francophonie, telles que la démocratie, la bonne gouvernance ou le droit des femmes".
En finançant des films, la France s’arroge seulement le droit de les diffuser au sein du réseau des centres culturels français (CCF), principalement fréquentés par les expatriés et l’intelligentsia africaine.
"Un monopole malsain"
Cependant, la razzia opérée par M-Net rend impossible la diffusion des films - et des valeurs qu’ils sont censés véhiculer - vers un public plus large. À Ouagadougou, où plus d’une dizaine de salles de cinéma périphériques ont ouvert leurs portes ces dernières années, les temps redeviennent difficiles.
"Les gens veulent voir des films africains. Or, nous n’arrivons plus à faire venir de films. Ils sont possédés par M-Net", regrette Zakaria Gnegné, gérant de la salle de Wemtenga, dans un quartier périphérique de Ouagadougou, "la capitale du cinéma africain". Ainsi, Gnegné n’a pas pu diffuser “Ezra”. M-Net en possède les droits exclusifs d’exploitation.
Le monopole touche également le public européen et américain. Depuis 2008, Arte publie, chaque année, un coffret de DVD intitulé "Cinéastes africains". La chaîne franco-allemande est alors obligée de négocier avec M-Net pour y inclure certains films.
"Faire ce que fait M-Net, à savoir acheter les droits des films et ne pas les diffuser, ce n’est pas du business, c’est de l'affairisme. Un monopole, c’est malsain", fulmine Adrienne Frejacques, responsable des éditions et du commerce international pour Arte.