La Guyane est l’un des départements français les plus pauvres. Le chômage y atteint des records. Avec la découverte de gisements de pétrole, les Guyanais se mettent à espérer. Mais profiteront-ils réellement de l’eldorado pétrolier ? Notre reporter a mené l’enquête.
En pleine crise économique, le 9 septembre 2011 les groupes Tullow Oil, Total et Shell annoncent avoir découvert un champ de pétrole à 150 kilomètres au large de la Guyane Française. Une découverte qualifiée d’"historique" et "significative".
Historique pour la population de l’un des plus pauvres départements français. Historique aussi pour la France qui pourrait acquérir le statut de producteur pétrolier de troisième, voire de second rang d’ici une quinzaine d’années. Significative, car elle marque l’ouverture d’un nouveau bassin pétrolier d’importance mondiale pour les vingt prochaines années.
Depuis le 9 septembre, la Guyane Française est donc au cœur de nouveaux enjeux pétroliers. Joachim Vogt, responsable régional de Tullow Oil, la société britannique qui opère le forage exploratoire de Zaedyus, accompagne le projet depuis 2002. Il explique que cette découverte n’est pas un hasard : "C’est le fruit d’une intuition de géophysicien, d’un pari sur la dérive des continents. Celui de trouver, au large de la Guyane, autrefois "collée" à l’Afrique, le jumeau du gisement Jubilee mis au jour et exploité au Ghana par Tullow".
Nous nous rendons sur la plate-forme Ensco 8503, à 150 kilomètres au large des côtes. Les employés sont presque tous Américains. "Ici se dessine la nouvelle géographie pour le monde du pétrole", nous explique Jérome Crosnier, logisticien pour Tullow Oil. Une journée d’exploitation coûte 750 000 euros.
Associer la population
La Guyane a une histoire marquée par l’esclavage et le bagne. La région est couverte à 95% d’un manteau vert. Une biodiversité inestimable sur un territoire miné par l’exploitation illégale de l’or.
C’est aussi le fleuron de l’Europe spatiale avec la fusée Ariane 5, et son partenariat réussi avec le tissu local qui a permi de créer 1 500 emplois directs et plus de 4 000 emplois indirects.
La population a doublé en vingt ans. On compte 230 000 habitants aujourd’hui et les projections tablent sur plus de 400 000 personnes à l’horizon 2030. Une flambée démographique qui, couplée à une poussée migratoire ininterrompue, absorbe littéralement la croissance économique (+ 3,5% du PIB).
Officiellement, le chômage atteint 21% de la population. Mais à en croire Albert Darnal, secrétaire général de l’Union des travailleurs guyanais (UTG), "il dépasserait largement les 30%".
Dans ce contexte, seules quelques voix osent s’élever contre la perspective d’une telle rente pétrolière.
Tournure politique
C’est avec les pêcheurs que les pétroliers ont eu le plus maille à partir. "Nous allons partager le même milieu, il faut trouver comment devenir partenaires. Et puis le carburant, c’est 70% du compte d’exploitation d’un crevettier… ", nous dit Jocelyn Médaille, patron du comité régional des pêches.
À terre aussi, le prix de l’essence est un sujet épineux. Fin 2008, lorsque le litre de Super flirtait avec les 1,80 euros, la région s’est retrouvée paralysée des semaines durant. Aujourd’hui, les stations guyanaises ne prennent pas la peine d’afficher leurs tarifs puisqu’il est le même partout, fixé administrativement, chaque mois, par la préfecture.
L’annonce de la découverte de gisements a provoqué la mobilisation générale des élus locaux, dont Christiane Taubira. La députée de Guyane a défendu devant l’Assemblée nationale la création d’une taxe sur chaque baril sorti. "La question des royalties est capitale, car même à 3 ou 4 % sur chaque baril pour la Guyane, cela représente des sommes très importantes pour notre région".
L’espoir d’une nouvelle ressource guyanaise se heurte également aux inquiétudes des écologistes car le forage est profond, à près de 6 000 mètres sous la surface. La Guyane abrite un écosystème fragile, avec notamment une partie de la plus grande barrière de mangroves au monde. "Un cauchemar à dépolluer en cas de marée noire similaire à celle provoquée par l’exploitation de la plate-forme Deepwater Horizon dans le Golfe du Mexique en avril 2010", souligne Christian Roudge, de Guyane Nature Environnement. Or le forage guyanais est plus profond encore que Deepwater Horizon.
Et maintenant…
Après Tullow Oil, c’est maintenant Shell France, qui a prit le leadership de l’exploitation. En novembre 2011, Joachim Vogt, suggérait de "créer un comité de pilotage public-privé, d’identifier les problématiques et de lancer les études. Faut-il créer un port en eau profonde? Une raffinerie? Lancer des filières de formation? Nous avons le temps, mais il ne faut pas le gâcher".
Cet été, un navire, le Stena Icemax, doit arriver pour une nouvelle campagne de prospection afin de mieux quantifier les volumes d’hydrocarbures présents sur ce gisement. Deux nouveaux forages doivent avoir lieux en 2012. Deux autres également en 2013.