Le président du Soudan du Sud, Salva Kiir, a accusé le régime de Khartoum d'avoir déclaré la guerre à son pays. Une situation conflictuelle qui place la Chine, partenaire privilégiée des deux pays, dans un inconfortable rôle de médiateur.
Neuf mois après la déclaration de son indépendance, le Soudan du Sud se retrouve au bord d'un conflit que son voisin du Nord semble prêt à lui livrer par l'odeur du pétrole alléché. C’est au cours d’un voyage à Pékin, mardi 24 avril, que le président sud-soudanais, Salva Kiir, a affirmé que Khartoum avait “déclaré la guerre” à son pays. Accusations auxquelles le Soudan n’a toujours pas répondu. Alors que les efforts déployés par l'Union africaine (UA) pour négocier la paix sont au point mort, certains analystes commencent à se demander si la réponse ne se trouverait pas... en Chine.
Pékin, qui dispose de nombreux intérêts économiques dans les deux pays, se trouve dans une situation délicate et joue les équilibristes entre les deux capitales. D’un côté, la Chine essaie de maintenir ses liens historiques avec le Soudan, isolé diplomatiquement depuis les années 1990, dont elle est le premier partenaire économique. C’est elle qui a aidé Khartoum à devenir un important exportateur de pétrole. De l’autre, depuis les accords de paix en 2005, elle prend soin de s’attirer les bonnes grâces des Sudistes, ceux-là même qui sabotaient ses installations pétrolières il y a peu.
La neutralité chinoise en question
La Chine a beaucoup investi dans l’industrie pétrolière soudanaise via le géant public China National Petroleum Corporation (CNPC) et possède des parts dans deux des trois principaux consortiums pétroliers au Soudan – Greater Nile Petroleum Operating Company (GNPOC) et Petrodar. Selon le Fonds monétaire international (FMI), le pétrole contribue à hauteur de 90 % des exportations du Soudan, et à hauteur de 98 % pour le Soudan du Sud. En 2011, 66 % du pétrole exporté du Soudan et du Soudan du Sud était destiné à la Chine, même si cela ne représente qu’une petite partie du total des importations pétrolières chinoises, selon l’Agence américaine d'information sur l'énergie (EIA). Avant sa partition, le Soudan représentait la sixième plus grande source d’importation de pétrole en Chine.
Les propos tenus par le président sud-soudanais à Pékin placent les autorités chinoises dans l’embarras. “Ces déclarations vont obliger la Chine à prendre position dans le conflit alors que jusqu’à présent Pékin a toujours tenté de respecter une neutralité qui ménageait ses intérêts économiques aussi bien au Sud qu’au Nord”, explique à FRANCE 24 Henry Hall, spécialiste de la région africaine et asiatique pour Critical Resource. "Le rôle de médiateur est rarement dans les plans de la diplomatie chinoise, mais là, elle n’a pas le choix et se retrouve au pied du mur", explique Alice Ekman, chercheur spécialiste de la Chine à l’Institut français des relations internationales (Ifri).
"Nous espérons que les deux pays vont parvenir à résoudre leur conflit par le dialogue et les consultations, en se gardant d'actes susceptibles d'aviver les tensions", a déclaré, mardi, le porte-parole de la diplomatie chinoise, Liu Weimin. Le numéro un chinois, Hu Jintao, a lui-même lancé un appel au calme et à la retenue au Soudan et au Soudan du Sud. "Le premier perdant de l’instabilité entre les deux Soudan, c’est la Chine. Elle a vraiment intérêt à ce que la situation se calme. La vraie question est : jusqu’où est prêt à s’engager un pays qui a pour habitude de défendre le principe de non-ingérence ? Le Soudan du Sud sert donc de laboratoire pour sa diplomatie", explique Alice Ekman, qui ajoute que la visite de Salva Kiir est largement diffusée à la télévision chinoise.
it"Derrière le rideau"
David Shinn, ancien ambassadeur américain et professeur de relations internationales spécialisé dans les relations Chine-Afrique, estime que Pékin va jouer un rôle mais "derrière le rideau". "La Chine va tout faire sauf se positionner. Cela fait très longtemps qu’elle entretient des relations avec Khartoum et investit au Nord. Elle joue aussi un rôle de plus en plus important au Soudan du Sud avec des activités de formations de travailleurs et des créations d’école. Mais parler de médiation, c’est aller un peu loin : la Chine va faire de la médiation sans employer le mot, se contentant d’appeler les deux parties au calme."
Alice Ekman rappelle que l'accroissement des intérêts chinois à l'étranger oblige Pékin a agir davantage, notamment pour protéger ses investissements et ses ressortissants. En témoigne l’évacuation en 2011 de 33 000 Chinois au moment de la guerre en Libye. Pour la chercheuse, la situation au Soudan, où travailleraient près de 15 000 Chinois, pourrait obliger la Chine à mieux évaluer les risques de son positionnement dans le monde. "Quand on a des intérêts croissants à protéger à l'étranger, comme c’est le cas au Soudan, on devient naturellement plus dépendant des évolutions de situations politiques et économiques, et parfois plus vulnérable, notamment si on ne les a pas vu venir...", explique Alice Ekman.
Mais Pékin devra-t-elle faire un choix ? David Shinn voit une porte de sortie pour Pékin : "La Chine aurait déjà accepté de fournir une assistance technique pour la construction d'un nouvel oléoduc permettant au Soudan du Sud d’exporter son pétrole par le Kenya." Juba pourrait donc contourner le territoire soudanais par lequel transite actuellement toute sa production.
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