
En vigueur en Allemagne, l’encadrement des loyers pourrait être adopté en France. Après François Hollande, Nicolas Sarkozy se dit favorable à cette mesure alors qu'il en a longtemps combattu le principe.
Proposé par une majorité de candidats à l’élection présidentielle française, l’encadrement des loyers pourrait devenir un nouvel enjeu politique phare en France. Inscrite dans le programme socialiste depuis un an, l’idée de permettre au locataire de contester le prix de son logement a longtemps été perçue comme une hérésie par l'actuel président de la République, Nicolas Sarkozy. En janvier, celui-ci avait estimé qu’en cas d’encadrement des loyers, "plus personne ne louera, plus personne de construira". Ajoutant : "C’est exactement le contraire de ce qu’il faut faire. Cela n'a marché nulle part, même à l'époque de l'Union soviétique" (voir vidéo ci-dessous).
Cette mesure fait pourtant désormais partie des propositions de Nicolas Sarkozy. Dans une interview à l'hebdomadaire "Femme actuelle", à paraître le 16 avril, le président-candidat se prononce pour un système calqué sur la loi allemande : "C'est une bonne idée. Il ne s'agit pas de bloquer les loyers mais bien d'un encadrement. C'est en cela qu'elle est intéressante. Je l'appliquerai."
Dans l’agglomération parisienne, région de France la plus difficile sur le marché du logement, les loyers ont augmenté en moyenne de 2,4% en 2011. En cas de changement de locataire, le "saut à la relocation" a atteint 9% dans Paris intra-muros (chiffres de l’Observatoire des loyers).
En Allemagne, le prix du loyer est fixé librement par le propriétaire, qu’il s’agisse d’une première location ou d’un changement de locataire. L'occupant peut contester ce prix s’il l’estime supérieur à 20 % des loyers pratiqués pour des logements équivalents dans sa ville ou son quartier. Le juge peut conséquemment imposer au propriétaire une baisse du loyer et même exiger un remboursement rétroactif sur les trois dernières années.
"Accompagner la hausse en la minimisant"
L’exemple allemand a inspiré depuis longtemps des personnalités du mouvement écologiste, comme René Dutrey, conseiller Europe Écologie-Les Verts (EELV) de Paris et auteur d’un rapport sur l’encadrement des loyers remis en novembre 2011 au maire de Paris, Bertrand Delanoë. L’idée a été reprise par le sénateur socialiste Alain Fauconnier, qui a déposé un amendement au projet de loi de Frédéric Lefebvre sur la "protection et l’information des consommateurs", voté par le Sénat en décembre 2011. En revanche, le texte n'a pas été approuvé par l’Assemblée nationale, majoritairement à droite et historiquement hostile à cette mesure.
Autre exemple d’encadrement des loyers en Europe : la Suisse. "Nous avons un marché du logement assez tendu. Dans les grandes villes, il devient très difficile de trouver un logement. Il en découle une pression à la hausse sur les loyers. Par conséquent, il est absolument nécessaire de protéger les locataires", explique Cipriano Alvarez, chef du secteur juridique à l’Office fédéral suisse du logement. La loi helvétique permet au locataire de contester une augmentation de son loyer dans un délai de 30 jours. Pour trancher, la justice se fie à l’évolution des prêts hypothécaires sur le marché pour établir des comparaisons de prix, mais exceptionnellement, elle peut refaire le calcul du loyer en se basant sur les loyers pratiqués dans le voisinage.
"Il y a eu un débat en Suisse qui visait à instaurer un système des loyers comparatifs : on aurait eu une base informatique qui compilerait des critères pour fixer la qualité d’un logement et son prix. Cette modification a été refusée au Parlement en 2010 par 90 voix contre 89. Les locataires craignaient que des locations deviennent plus élevées et les bailleurs le contraire", explique Cipriano Alvarez.
En France, les hausses des loyers les plus importantes se produisent en général au moment d’un changement de locataire - un indice de référence des loyers encadre en revanche la hausse des loyers au cours d’un même bail. L’amendement voté au Sénat prévoyait que le locataire ait six mois pour contester le montant du loyer, qui devra être "fixé par référence aux loyers habituellement constatés dans le voisinage pour des logements comparables".
"C’est très important de pouvoir contester le prix d’un loyer après la signature du bail, insiste René Dutrey. Cette possibilité existe déjà pour les propriétaires, qui peuvent intenter un procès pour loyer manifestement sous-évalué. Pourquoi les locataires n’auraient-ils pas les mêmes droits ?", interroge-t-il Ce système implique qu’il existe une banque de données des loyers pratiqués dans une même ville ou un même quartier. Ce système de référencement a été mis en place dans les grandes agglomérations d’Allemagne sous le nom de Mietspiegel ("miroir des loyers"). "En appliquant strictement ce 'miroir des loyers', on accompagne la hausse en la minimisant. L’intérêt, c’est de faire baisser le prix du foncier, et donc le prix des logements à la vente aussi", explique René Dutrey.
"Le dogme du libre-marché s'effrite avec la crise"
Outre-Rhin, ce système d’encadrement des loyers fait l'objet d'un consensus politique. "Quand on parle avec des élus de droite, ils estiment que c’est un marché libre. Le pragmatisme en Allemagne dépasse les clivages classiques. À aucun prix, la chancellière allemande Angela Merkel n’est revenue sur ces lois. En France, en revanche, le dogme du libre-marché est intouchable, surtout à droite. Mais il commence à s’effriter avec la crise", estime René Dutrey.
Le secrétaire d’État au logement, Benoist Apparu, se disait encore opposé à l’encadrement des loyers en janvier dernier : "J'y suis totalement défavorable par pragmatisme pas par principe. Ce serait une erreur monumentale, déclarait-il dans une interview au "Nouvel Observateur". L'encadrement des loyers produira l'effet inverse [de celui souhaité]. Les propriétaires diront au revoir à cet investissement si ils perdent en rentabilité. Et si il y a moins d'offres, les loyers augmenteront." Le secrétaire d’État fait valoir que l’Allemagne connaît une situation inverse à la France : il y a, outre-Rhin, plus d’offres de logements qu’il n’y a de demandes.