Dans un livre qui paraît ce mercredi, l'ex-patronne du fleuron nucléaire français Areva revient sur sa carrière et ses rapports tendus avec Nicolas Sarkozy. Un règlement de compte qui tombe à pic pour le candidat socialiste à la présidentielle...
Promis juré, elle ne roule pas pour le candidat socialiste François Hollande. "Je ne fais pas ce livre pour soutenir un candidat”, assure Anne Lauvergeon dans un entretien exclusif accordé mardi 10 avril au site internet de l'hebdomadaire L’Express pour promouvoir son dernier ouvrage intitulé “La femme qui résiste”. Pourtant, compte tenu du ton de l'ouvrage autant que du timing de sa sortie en librairie - à 12 jours du premier tour de l'élection présidentielle -, on ne peut s'empêcher de penser à une opération politique contre l’actuel locataire de l’Élysée. L’ex-patronne d’Areva profite, en effet, de l’occasion pour étriller Nicolas Sarkozy, qu’elle compare à un “roi enfant” qui aurait mis en place un “clan” autour de lui. Du pain béni pour François Hollande et le Parti socialiste, qui dénoncent régulièrement l’État-UMP et l’esprit de cour qui règnerait au palais présidentiel.
À lire ses propos dans L’Express, "Atomic Anne” se serait muée en “femme qui résiste” afin de protéger la filière atomique française des errements du duo Nicolas Sarkozy-Henri Proglio, le patron d’EDF, qui est par ailleurs son ennemi juré. Le premier aurait fait primer ses amitiés personnelles - notamment “pour le compte de Bouygues” - sur les intérêts industriels français, ce qui l’aurait amené à faire des “erreurs graves” comme celle de... “nommer Henri Proglio à la tête d’EDF”.
Le patron du géant énergétique français n’a que des défauts aux yeux d’Anne Lauvergon. “Il s’est présenté comme le capitaine de l’équipe de France nucléaire alors qu’il ne connaissait pas grand chose à la filière”, affirme-t-elle. Henri Proglio aurait cherché à démanteler Areva au profit exclusif d’EDF. Surtout, même si l'ex-patronne du groupe nucléaire se défend de “tout esprit de vengeance”, celle-ci poursuit en expliquant que Proglio a demandé et obtenu du pouvoir en place qu’elle soit remplacée à la tête d’Areva par Luc Oursel, le 21 juin 2011.
Sherpa de Mitterrand
Difficile de ne pas voir derrière cette offensive médiatique antisarkozyste des arrières-pensées politiques. Depuis les années 1990 et ses débuts dans l’arène des grands fauves politico-industriels, Anne Lauvergeon est, en effet, proche des socialistes français. Sous la présidence de François Mitterrand, Elle a ainsi été la “sherpa” officielle du chef de l'État, en charge notamment de la préparation des sommets du G7, le club des sept pays les plus riches. En 1999 ensuite, c’est le gouvernement socialiste de Lionel Jospin qui lui offre la présidence de la Cogema qu’elle transformera deux ans plus tard en Areva.
Pendant la décennie suivante, celle-ci incarne le nucléaire français et gagne le sobriquet d’”Atomic Anne”. En 2006, elle est nommée “deuxième femme d’affaires la plus puissante au monde” (hors États-Unis) par le magazine américain Fortune. Durant son règne, Anne Lauvergeon affirme mener sa barque industrielle en “toute indépendance”. Autant dire en toute indépendance de la droite française, qui occupe le pouvoir sans interruption depuis la réélection de Jacques Chirac à l’Élysée, en 2002. Un positionnement qui ne facilite pas la tâche de cette patronne d’une entreprise dont l’État est actionnaire à 80 %...
Mais, si son cœur politique penche à gauche, Anne Lauvergeon a également su tisser des liens à droite et compte notamment François Fillon et Jean-Louis Borloo parmi ses soutiens. Des “amis” qui se révèleront un temps précieux pour la protéger à son poste. Dès l'élection de Nicolas Sarkozy à la présidence, en 2007, celle-ci est menacée, comme le rappelle Le Nouvel Observateur dans une longue enquête du 9 février 2012 qui lui est consacrée.
Future Premier ministre ?
Les relations avec Nicolas Sarkozy n’ont pas toujours été aussi tendues qu’aujourd'hui. Juste avant son entrée en fonction en 2007, ce dernier lui aurait proposé un ministère. “Je pouvais avoir celui que je voulais mais j’ai refusé car il ne composait pas un gouvernement, il recrutait pour un casting ! Je remplissais nombre de cases : femme, monde économique, industrie, international, Mitterrand, moins de 50 ans”, raconte-t-elle à L’Express.
Depuis lors, elle se savait en sursis à la tête d’Areva, comme elle le raconte dans une interview au Monde publiée en février dernier. Ses relais au gouvernement n’auront pas suffi face aux appétits d’Henri Proglio et de ceux qu’Anne Lauvergeon appelle les tenants d’une “stratégie à court terme” pour le nucléaire français.
Reste que, si ces derniers ont finalement eu sa peau, elle peut espérer une rédemption dans l’hypothèse d’une élection de François Hollande, le 6 mai prochain. Elle serait en effet pressentie pour entrer dans un éventuel gouvernement de gauche et pourrait même, d’après Le Figaro, devenir Premier ministre. Même si elle reconnaît avoir une sympathie pour le candidat actuel des socialistes, elle avouait toutefois au Monde espérer plutôt revenir sur le devant de la scène économique. À la place d’un Proglio, donné partant en cas de victoire socialiste ?