Le gouvernement français s'est publiquement opposé à la venue de l'intellectuel suisse Tariq Ramadan au 29e Salon de l'Union des organisations islamiques de France. L'intéressé fait part de son point de vue à France24.com.
Le ministre français de l’Intérieur, Claude Guéant, a affirmé, vendredi 6 avril, sur les ondes d'Europe 1 avoir demandé aux responsables de l’Union des organisations musulmanes de France (UOIF) d’invalider l’invitation de l'intellectuel suisse Tariq Ramadan à la 29e Rencontre des musulmans de France, organisées du 6 au 9 avril à Paris-Le Bourget. Raison invoquée : des "propos très ambigus" qu’il "a prononcés il y a plusieurs années".
Selon Claude Guéant, Tariq Ramadan, enseignant à l’université d’Oxford, au Royaume-Uni, et petit-fils de Hassan al-Bana, fondateur des Frères musulmans, a "souhaité, par exemple, un moratoire sur la lapidation des femmes, ce qui est quand même une horreur absolue". Sur France24.com, Tariq Ramadan répond au gouvernement français.
FRANCE 24 - Le gouvernent français a demandé à l’Union des organisations islamiques de France (UOIF) de vous déprogrammer de son cercle de conférences organisées à l’occasion de la rencontre annuelle des musulmans de France. Quel commentaire cela vous inspire ?
Tariq Ramadan - Le gouvernement français a effectivement souhaité que je ne sois pas présent à cette rencontre ; je regrette qu’il soit sourd au discours que je tiens depuis 25 ans, notamment sur la citoyenneté. Nous disons à la classe politique française que nous n’avons absolument aucun problème d’être, pour moi citoyen suisse, pour d’autres citoyens français, bref, d’être citoyens européens de confession musulmane.
Le problème réside dans le fait que ceux qui stigmatisent les musulmans ont une conception négative de l’islam. Je leur dis que l'élection présidentielle va un jour s'achever, mais que le "vivre-ensemble" perdurera. Moi, je me pose une seule question : au bout du compte, que veut-on dire aux Français de confession musulmane ? Qu’ils sont toujours des étrangers en France parce qu’ils sont musulmans ? Nous, nous voulons faire entendre aux Français de confession musulmane que l’islam est une religion française, que nous voulons vivre ensemble. Cela fait 25 ans que je dis cela.
Le gouvernement français, actuel ou à venir, doit entendre cette voix-là parce qu’elle prône la paix civile et la paix sociale. On ne pourra réellement vivre ensemble que dans le pluralisme, et pas uniquement dans le discours.
F24 - La communauté musulmane française affirme souvent se sentir stigmatisée, surtout en cette période électorale...
T. R. - On voit bien que la campagne présidentielle amplifie, hypertrophie cette stigmatisation parce que l’on est dans une compétition où le président actuel se trouve coincé entre la présence du Parti socialiste et les populistes du Front national. Il pare au plus pressé, au risque de laminer les fondations du "vivre-ensemble". Nous, nous disons qu’il faut les préserver. On peut comprendre les enjeux d’une élection, mais pas à n’importe quel prix.
F24 - Les musulmans de France ne doivent-ils pas de leur côté œuvrer à une meilleure intégration dans la société française ?
T. R. - Les représentants de l’islam de France font ce qu’ils peuvent, mais il faut absolument que les Français de confession musulmane organisent leur représentation. Aussi, le gouvernement doit imposer que l’islam de France ne soit pas géré par l’intermédiaire des ambassades ou de l’étranger. Les représentants de l’islam de France doivent avoir un discours clair sur le fait qu’ils ont une légitimité à parler. D’un autre côté, il faut que l’État l’entende comme cela. C’est avec les citoyens qu'il faut parler et personne d’autre. L'État ne parle pas de la présence chrétienne, juive ou bouddhiste en France avec le Vatican, Tel Aviv ou le Tibet. C’est ici, en France, que cela doit passer.