
Confrontée au pillage des commerces et à l'insécurité grandissante depuis l'arrivée des rebelles touareg, la population de Gao fuit en nombre vers Bamako, la capitale malienne.
AFP - A Gao, "il n'y a plus rien, c'est dégueulasse", lâche Mohamed, serrant contre lui ses effets dans un sachet bleu. Il débarque vendredi à Bamako, avec quelque 70 personnes d'un autocar venu de Gao, une ville du nord du Mali contrôlé par des rebelles touaregs et islamistes armés.
A Gao "dans peu de temps, il n'y aura même pas de quoi manger, ça je ne vous le cache pas", confirme Mohamed Maïga, 43 ans, au terminus des bus d'une société privée de transport d'où des passagers à l'air exténué sortent leurs bagages.
Lorsqu'il décrit le chaos régnant dans sa ville, il s'emporte, comme les femmes autour de lui, qui refusent toutefois de parler ouvertement.
"Les magasins sont pillés". De même que les banques, établissements de santé, pharmacies, il n'y a plus de moyens de transport, "il n'y a plus rien, c'est dégueulasse", les habitants sont obligés "de boire l'eau des cuves (de stockage), une eau tellement rouge qu'on a l'impression de boire de la rouille", dit-il.
Mohamed Maïga est venu à Bamako avec une partie de sa famille et compte retourner à Gao chercher les autres, "pour les mettre à l'abri". Selon lui, depuis fin mars, "des milliers de gens sont partis" de cette ville à près de 1.200 km au nord de Bamako.
Gao est surnommée "la cité des Askia", du nom de héros de l'Empire songhoï (ou sonraï), le dernier grand empire du pays. Capitale de la région du même nom, elle était avec près de 100.000 habitants le plus important centre urbain du vaste Nord, qui regroupe aussi les régions de Kidal et Tombouctou, également capturées.
Le chauffeur du car accepte de témoigner, mais son employeur requiert qu'on ne cite pas son nom pour ne pas le mettre en danger, "parce qu'il continue de faire le trajet" Bamako-Gao-Bamako.
"Quand on est partis, il y avait plein, plein, plein" de candidats au départ, le car "prend 59 personnes" en places assises, "mais on a mis onze personnes de plus aujourd'hui, tellement les gens sont pressés" de quitter Gao, dit-il.
"Ils violent nos soeurs"
it"C'est difficile là-bas", les nouveaux maîtres de la ville "se promènent avec des armes".
Mme Kadiatou Ba, d'âge mur, descend difficilement du bus, puis s'arrête à côté de ses bagages, avec ses enfants. "Il n'y a rien là-bas, il n'y a pas d'hôpitaux". Elle ne peut en dire plus, et met ses mains sur son visage pour cacher ses larmes.
Fanta, lycéenne qui ne donne que par son prénom, est là avec toute sa famille. "On est cinq, nous on n'a rien eu, Alhamdoulillah (Dieu merci!), mais ça ne va pas. Les rebelles fatiguent les gens, c'est pourquoi on est parti", explique-t-elle, un bébé sur le dos.
"Hier (jeudi) après-midi, quand nous sommes partis, il n'y avait plus d'eau et plus d'électricité", poursuit-elle d'une petite voix.
Une femme se met en colère et lance: "Tout ce qu'on vous dit, c'est plus que cela. C'est très difficile, c'est indescriptible", puis elle continue son chemin, un sac plastique dans une main, un bidon d'essence recyclé en gourde, entouré d'un sac de jute.
Un adulte dit publiquement ne pas avoir "vu d'exactions" physiques à l'encontre de civils dénoncées par la junte militaire au pouvoir depuis le 22 mars au Mali. Mais quand l'attroupement diminue, il confie à la journaliste de l'AFP: "ces gens-là (rebelles et islamistes armés), ils violent nos soeurs, nos mères. Ils égorgent des gens".
"Je fais venir ma famille ici", à Bamako, "après je vais retourner me battre chez moi", au sein d'un mouvement d'auto-défense, "je périrai là-bas, mais je préfère ça plutôt que de rester sans rien faire, puisque l'Etat, les militaires nous ont laissés à nous-mêmes", assure-t-il, amer.
D'autres passagers dénoncent les rackets de rebelles tout le long du trajet jusqu'à la limite de leur zone: Douentza, ville de la région de Mopti (centre).
"Ils prennent environ 100.000 FCFA (152 euros) pour escorter un car comme ça, soit 2.000 FCFA par personne. Pour moi, ce ne sont pas des rebelles, ce sont des bandits, des voleurs!", tempête un homme en colère.