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Les Frères musulmans ont désigné comme candidat à la présidentielle égyptienne leur "numéro deux", Khairat al-Chater, un riche homme d'affaires considéré comme le véritable chef de la confrérie. Portrait.

Après avoir fait main basse sur l’Assemblée du peuple (chambre des députés) et la commission chargée de rédiger la future Constitution égyptienne, les Frères musulmans se lancent dans la course à la présidence du pays. À une semaine de la clôture des dépôts de candidatures, la confrérie islamiste a finalement décidé d'être représentée à l’élection présidentielle qui doit se tenir fin mai, après avoir longtemps assuré qu’elle ne convoitait pas la magistrature suprême. C’est le député Khairat al-Chater qui a été désigné par le conseil consultatif du mouvement pour briguer la tête du pays. Avant même d’avoir entamé sa campagne, l'homme fait, selon les médias locaux, déjà figure de favori du scrutin dont le premier tour est prévu les 23 et 24 mai.

"L’homme fort de la nouvelle Ég ypte"
Ce professeur d’ingénierie âgé de 61 ans était, jusque-là, le numéro deux des Frères musulmans et membre éminent du Conseil d'orientation de la confrérie. Des fonctions dont il a aussitôt démissionné après sa désignation comme candidat à la présidence. "C’est un candidat fort parce qu’il était le numéro deux de la confrérie mais, pour beaucoup, il est en fait le numéro un, car c’est lui qui tient l’ensemble des rouages du mouvement", explique à RFI, Stéphane Lacroix, professeur à Sciences-Po et spécialiste des mouvements islamistes.
Pour "Al-Ahram", le quotidien le plus vendu en Égypte, Khairat al-Chater est "la figure la plus puissante de la confrérie depuis les années 1950". De son côté, le "New York Times'' l’a récemment qualifié "d’homme fort de la nouvelle Égypte". Considéré comme l’éminence grise et le grand argentier du mouvement, ce père de dix enfants est un redoutable homme d’affaires devenu multimillionnaire grâce, notamment, à sa société de vente de logiciels informatiques.
Militant socialiste dans sa jeunesse, il intègre les rangs de la confrérie clandestine au début des années 1980, avant d'en rejoindre les hautes sphères 15 ans plus tard. Cette ascension, qui s’explique notamment par la prise en main des finances de l'organisation, n’a guère été freinée par plusieurs années de détention dans les geôles du régime de Hosni Moubarak, lorsque le mouvement, interdit, était alternativement toléré par le pouvoir ou sévèrement réprimé.
Sa dernière condamnation à sept années d’emprisonnement remonte à 2007, pour des accusations de terrorisme et de blanchiment d'argent. Remis en liberté en mars 2011, un mois après la chute du "raïs" Moubarak, il façonne et finance la campagne électorale de la confrérie qui s’adjuge une victoire sans appel lors des législatives de janvier (plus de 40 % des sièges de députés). "L'Égypte ne reviendra pas au système du parti unique. La confrérie aidera les autres partis à se renforcer. Même si un parti est majoritaire, il ne doit pas monopoliser le pouvoir", avait-il déclaré à Reuters en mars 2011.
"Salafo-compatible"
Côté idéologie, Khairat al-Chater se présente comme un islamiste modéré et pragmatique, même si, selon lui, "tous les aspects de la vie doivent être régis par l’islam". Dans une tribune libre publiée en 2005 dans le quotidien britannique "The Guardian", il affirmait qu'il ne fallait "pas avoir peur " des Frères musulmans. "Il promeut une interprétation de l'islam qui inclut le libre-échange et favorise donc le commerce", explique le "New York Times", dans un portrait qui lui est dédié en mars 2011. Et au quotidien de poursuivre : "les responsables américains disent qu’ils apprécient l’efficacité calme de Khairat al-Chater".
Toutefois, tout en se revendiquant modéré et moderniste, Khairat al-Chater entretient de bonnes relations avec le courant salafiste adepte d’un islam rigoriste et qui honnit l’Occident. "Il est salafo-compatible, c’est-à-dire qu’il a des affinités avec certains chefs salafistes, dont beaucoup estiment qu’ils pourraient appeler à voter pour lui", précise Stéphane Lacroix. Selon ce dernier, un candidat présenté par les Frères musulmans, jouissant d’un soutien partiel ou total des salafistes, a "de très grandes chances de s’imposer, si l’armée valide sa candidature".
La voie n’est cependant pas encore clairement dégagée pour le candidat Khairat al-Chater. Car, à en croire la loi égyptienne, une personne préalablement condamnée par la justice du pays ne peut pas occuper un poste officiel. Selon son avocat, le Conseil suprême des forces armées (CSFA), au pouvoir en Égypte, a effacé deux condamnations à des peines de prison, ce qui lui permettra de se présenter à l'élection présidentielle du mois de mai. "Al-Chater a récupéré tous les droits civiques dont il avait été privés et il peut donc exercer ses droits politiques, y compris en se présentant à un poste officiel", a précisé, dimanche 1er avril, Me Abdel Moneim Abdel Maksoud.
Cette information n’a pas été officialisée mais une source militaire a confié à l'agence Reuters que les Frères musulmans n'auraient pas annoncé publiquement le nom de leur candidat sans avoir obtenu des garanties de l'armée.