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Adlène Hicheur, terroriste islamiste ou internaute piégé ?

Le tribunal correctionnel de Paris juge jeudi Adlène Hicheur, un physicien du CERN soupçonné d’avoir envisagé des attentats contre la France. Retour sur le parcours d’un homme socialement intégré, jugé sans être jamais passé à l’acte.

Comme un air tragique de déjà-vu. À l’heure où la folie meurtrière de Mohamed Merah est encore dans toutes les têtes, une nouvelle affaire de terrorisme vient bousculer l’actualité française. Le tribunal correctionnel de Paris juge à partir de ce jeudi 28 mars, Adlène Hicheur, un physicien franco-algérien du Centre européen de recherche nucléaire (CERN) soupçonné d’avoir envisagé des attentats islamistes contre la France. L'homme interpellé à Vienne, dans l’Isère, au domicile de ses parents, le 8 octobre 2009 est accusé d'"association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste".

Le dossier repose sur des suspicions nées de la surveillance par la Direction centrale du renseignement (DCRI) de sa boîte email dans laquelle se trouvent plusieurs échanges électroniques entre Hicheur et un dénommé Moustapha Debchi – présenté par l’accusation comme un responsable d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Alors qui se cache derrière ce visage présumé du terrorisme islamiste français, brillant docteur en physique des particules âgé de 35 ans ? Un simple internaute pris au piège par un cadre d’Al-Qaïda et qui n’a "jamais eu l’intention de participer à une entreprise impliquant des actes de violence" comme le prétend l'accusé ? Ou un terroriste en puissance arrêté avant d’avoir commis l’irréparable ?

"Un regard critique sur le monde"

Adlène Hicheur est né à Sétif, en Algérie. Il arrive en France à un an, lorsque sa famille s’installe dans l’Isère, en 1978. Il possède la double nationalité, française et algérienne. Son père Saïd Hicheur affirme avoir éduqué ses enfants dans le plus grand respect des valeurs républicaines. "J’ai essayé d’élever mes six enfants le plus droit possible, j’avais peur de la délinquance, de la drogue", a-t-il confié, le 24 mars au Journal du Dimanche.

Selon son avocat, Me Baudouin, cité par le quotidien Le Monde, le jeune Adlène est un musulman modéré qui s’intéresse assez tôt à la religion. Une attention qui se traduit toutefois par "un regard critique sur le monde", sur la guerre en Irak ou encore sur le conflit israélo-palestinien.

Au cours des années 2000, cet intérêt religieux– qui se traduit par la consultation de nombreux sites radicaux - éveille les soupçons de la cellule antiterroriste française. L’enquête de la DCRI montrera qu’Adlène Hicheur a entretenu entre janvier et juillet 2009, une correspondance régulière avec un certain "Phoenix Shadow". Un pseudonyme derrière lequel se cache Moustapha Debchi, un cadre important d’AQMI, acteur clé de l’affaire mais sans visage… Au total, 35 mails seront échangés entre les deux hommes. C’est depuis le domicile de ses parents que ce chargé de cours à l’École polytechnique fédérale de Lausanne (Suisse) entretient sa correspondance. "Mon fils était trop curieux, naïf, ça lui a coûté cher", confie encore son père au JDD. Le physicien du Cern a-t-il été piégé par Debchi ? Adlène Hicheur, en tout cas, a toujours affirmé avoir ignoré la véritable identité de son interlocuteur.

"Concernant ta proposition, la réponse est oui"

Tout bascule en mars 2009, quand "Phoenix Shadow" propose à Hicheur "d’exécuter des opérations en France". Le jeune physicien tergiverse, évoque des "désaccords sur quelques points stratégiques", mais lâche une phrase qui deviendra plus tard, un élément phare de l’accusation. Il suggère de prendre pour cible la base du 27e bataillon de chasseurs-alpins située dans la commune de Cran-Gevrier, près de la ville d'Annecy en France – base d’entraînement d’une partie des forces françaises présentes en Afghanistan.

Un mail qui accrédite la thèse d’un début de planification d’une action terroriste, selon la DCRI. De son côté, Debchi semble s’impatienter. Trois mois plus tard, il revient à la charge : "Cher frère, on ne va pas tourner autour du pot : est-ce que tu es disposé à travailler dans une unité activant en France ?" La réponse de Hicheur reste ambiguë : "Concernant ta proposition, la réponse est 'oui bien sûr', mais il y a quelques observations : (...) si ta proposition est relative à une stratégie précise (comme le travail au sein de la maison de l'ennemi central et vider le sang des forces), il faut alors que je révise le plan que j'avais préparé."

Peut-on condamner un homme qui n’est jamais passé à l’action ?

Il n’en faudra pas plus à la police française qui interpelle l’homme quelques mois plus tard, le 8 octobre 2009. "La cible était choisie, il fallait intervenir", a expliqué le directeur général de la police national à l’époque de l’interpellation. Mais aujourd’hui ce procès – une semaine après la mort de Mohamed Merah - est vivement dénoncé par son avocat. Ce dernier craint que son client ne puisse pas bénéficier d’un procès équitable. "[Nous sommes face à] une instruction totalement à charge" et à "un marketing sécuritaire", "pourquoi ses quinze demandes de remises en liberté ont-elles été refusées ? C’est Guantanamo !" a-t-il récemment martelé.

Il faut dire que sur de simples suspicions, Hicheur aura effectué deux ans et demi de détention préventive avant l’ouverture de son procès. Un détour par la case prison qui résonne curieusement face à l’affaire Merah : le jeune Mohamed surveillé par la DCRI n’a, lui, jamais été inquiété.

Depuis deux ans, Me Baudouin prépare la défense d’Adlène Hicheur en insistant sur le caractère purement "virtuel" de ces mails. "Jamais mon client n’est entré dans quelque chose de concret", argumente-t-il. Alors peut-on condamner un homme qui n’est jamais passé à l’action ? Et combien d’années derrière les barreaux valent 35 courriels emplis de haine à l’égard de l’Occident ? C’est tout l’enjeu de ce procès qui doit s’achever vendredi soir.