
Plusieurs États, dont la France, souhaitent puiser dans leurs réserves stratégiques de pétrole pour lutter contre l'envolée des prix à la pompe. Une option qui permettrait d'influer à la baisse sur les cours du brut mais à court terme.
C’est le casse-tête politico-économique du moment : comment faire baisser les prix à la pompe ? Certains chefs d'État sont d'autant plus empressés de trouver une solution depuis que l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) a confirmé, jeudi, que le pétrole cher “menace la reprise” économique. En France, le carburant a dépassé dans certaines stations service le seuil symbolique des 2 euros par litre.
Mercredi, le président-candidat français, Nicolas Sarkozy, a approuvé la proposition américaine, formulée en début de semaine, de puiser dans les réserves stratégiques de pétrole des États pour tenter de faire baisser les prix. Trois pays, la France, les États-Unis et la Grande-Bretagne, ont ainsi demandé à l’Agence internationale de l’énergie (AIE) l'autorisation de puiser dans ces stocks afin d’inonder le marché de pétrole. Une augmentation de l’offre qui devrait mécaniquement faire baisser les prix.
Si l’argument semble séduisant, il ne convainc pas tout le monde : jeudi, l’Allemagne s’est opposée à cette idée, doutant de l’effet à long terme sur les prix.
Revue de détails des arguments pour et contre un recours aux réserves stratégiques.
L’avantage : un effet immédiat. Ceux qui veulent puiser dans leurs réserves stratégiques y trouvent avant tout un avantage politique. Ce n’est pas un hasard si deux des plus ardents défenseurs de cette option, Barack Obama et Nicolas Sarkozy, font face à des échéances électorales à plus ou moins court terme.
Le président français peut, en effet, difficilement rester passif face à l’augmentation des prix à la pompe à moins d’un mois de l'élection présidentielle. Nicolas Sarkozy sait que puiser dans les réserves stratégiques a un effet immédiat sur le tarif du pétrole. Une arme que la France a utilisé lors de la crise libyenne en juin dernier. Pour pallier une pénurie suite à la fermeture de la pompe à pétrole libyenne, Paris avait mis à disposition trois millions de barils, soit 2 % de l’ensemble de ses stocks stratégiques. Conséquence : le prix du brut avait, dans la foulée, chuté de 115 à 108 dollars le baril.
L’autre avantage invoqué par le gouvernement français serait “de casser la spéculation sur les prix”, affirme Valérie Pécresse, ministre du Budget. Le pétrole supplémentaire mis sur le marché viendrait fausser les prévisions des spéculateurs qui, par conséquent, seraient moins tentés de parier sur une hausse des prix.
L’inconvénient : l’effet boomerang. Le recours aux réserves stratégiques ne peut avoir qu’un effet limité dans le temps. “À un moment donné, les États seront obligés de reconstituer leurs stocks et donc d’arrêter d’inonder artificiellement le marché”, estime James Burkhard, directeur de l’IHS l’un des principaux centres américains de recherche sur l’énergie, dans une recommandation adressée mercredi aux parlementaires américains qui doivent décider si puiser dans ces réserves est la meilleure solution.
Ce spécialiste craint qu’après une baisse, qui serait selon lui “relative”, qu' on enregistre une très forte hausse à la fin de l’utilisation des réserves. “Les réserves stratégiques ont été pensées pour faire face à une pénurie physique de pétrole et non pas comme une arme pour lutter contre une hausse des prix qui s’explique par un contexte géopolitique précis [les tensions actuelles du dossier nucléaire iranien, NDLR]”, rappelle James Burkhard. Le contexte n’aura pas disparu d’ici la fin de l’utilisation des ressources stratégiques et les prix devraient alors bondir pour revenir voire dépasser ceux qui font actuellement peur aux dirigeants politiques.
Pour éviter ce retour de flamme, le “seul moyen est que les gouvernements s’engagent à recourir aux réserves stratégiques sur le long terme”, assure Michael Levi, spécialiste des politiques énergétique pour le centre d’analyse américain Council on foreign relation (Centre des relations internationales). Un engagement difficile à prendre, notamment en France où les réserves correspondent à 98,5 jours de consommation… soit seulement un peu plus que les obligations internationales (90 jours).