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L'entrée de Damas et d'Alep dans la contestation, un tournant dans la révolution ?

Depuis les attentats meurtriers des 17 et 18 mars survenus à Damas et à Alep, les deux plus grandes villes de Syrie sont gagnées par la contestation et les violences qui secouent le pays depuis plus d’un an. Décryptage.

Calmes jusqu'alors, Damas et Alep, respectivement capitales politique et économique de la Syrie, sont, depuis le 17 mars, le théâtre de manifestations nocturnes de l’opposition.

Dans la nuit du jeudi 22 au vendredi 23 mars, des manifestations de soutien aux villes du pays bombardées et à l'Armée syrienne libre (ASL) - qui regroupe principalement des militaires dissidents -  ont ainsi réuni des centaines de Syriens, notamment dans les quartiers damascènes de Midane, Roukneddine et Barzé, a rapporté à l’AFP Mohammad al-Chami, un militant présent sur place.

Dans le quartier de Roukneddine situé en plein cœur de la capitale, les manifestants ont scandé : "Bombardez-nous plutôt que Deraa, Homs et Hama", trois villes de Syrie où l'intervention de l'armée régulière a fait de nombreuses victimes, en majorité civiles, selon l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH).

Ces nouveaux mouvements sont le reflet d’une révolte qui pourrait bien avoir gagné les deux villes, comme en témoigne le slogan que choisissent désormais traditionnellement chaque semaine les opposants au régime pour baptiser les manifestations du vendredi : "Damas, nous arrivons !".

"L’insécurité règne partout"

Plus que des manifestations de soutien à la révolution, à Damas, des affrontements ont lieu depuis une semaine entre l’armée régulière et l’ASL, notamment dans le quartier de Mazzé. "En ville, les rues ne sont plus sûres du tout, nous évitons de sortir après 20h", raconte une habitante* d’un quartier aisé du cœur de la capitale.

Alep qui, encore plus que Damas, n’avait jusqu'alors pas bougé, est également gagnée par les violences depuis la mi-février. "Depuis le premier attentat survenu en ville [le 10 février, NDLR], l’insécurité règne partout : des chabbihas - les miliciens du régime - circulent à moto en tirant en l’air", confie un habitant. Et d’ajouter : "Le simple fait de traverser une rue est devenu dangereux". Celui-ci évoque également la vive contestation qui enflamme la cité universitaire depuis plusieurs semaines.

Le fait que les deux plus grandes villes du pays soient secouées par la révolte née à Deraa, dans le sud, il y a plus d’un an, est un tournant. "Il est vrai que l’on a toujours affirmé qu'Assad bénéficiait d’un solide appui tant que Damas et Alep ne se soulevaient pas", rappelle l'historien Frédéric Pichon, spécialiste de la Syrie.

"Pour l’instant, les bourgeoisies urbaines ne se sont pas soulevées"

Pour le chercheur, les récents évènements survenus dans les deux villes, qu’il s’agisse des attentats ou des violences, montrent avant tout "qu’on est en train de passer à une phase de chaos".

L’historien y voit en effet "un tournant dans l’image que l’on a de la crise syrienne : la lutte armée de certains groupes d’opposants avec les forces régulières a pris le pas sur les manifestations pacifistes", explique-t-il.

"On est en présence de groupes d’opposants armés, au-delà de l’Armée syrienne libre, qui veulent déstabiliser ces villes jusque là attentistes, et semer le chaos", explique Frédéric Pichon, qui voit là la stratégie classique de toute guérilla. Il rappelle que samedi 17 mars, peu après l’explosion de deux voitures piégées à Damas, il y a eu une action des autorités contre un groupe d’insurgés repliés dans un appartement au cœur de la capitale, preuve pour lui que les rebelles étaient présents en ville.

Il insiste sur la présence de groupes infiltrés sur le territoire : "On sait maintenant de façon sûre qu’il y a des infiltrations, des combattants libyens, mais aussi probablement irakiens en Syrie", avance-t-il.

Mais, pour Frédéric Pichon, ce déplacement des violences vers Damas et Alep n’est pas de nature à précipiter la fin du régime. "Pour moi, ce ne sont pas les villes de Damas et d'Alep qui, véritablement, se soulèvent, estime-t-il. Leurs bourgeoisies urbaines sont encore dans une position attentiste et les violences ne sont pas de leur fait", affirme-t-il. Le véritable tournant susceptible d’ébranler le régime interviendra, selon lui, quand cette catégorie de population décidera de rejoindre la rébellion.

Reste que les conditions de vie se dégradent rapidement dans les deux cités. Pris de court par la brusque escalade des violences et par la recrudescence des attentats, nombre d'habitants ne cachent pas leur vive inquiétude et tentent de se protéger.

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*Les personnes interrogées ont préféré garder l’anonymat.