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Les Indignés rendent-ils leur dernier souffle ?

Après Madrid et New York, les Indignés de Londres ont été à leur tour délogés de leur campement. Cette nouvelle évacuation portera-t-elle un coup fatal au mouvement de contestation ? Pas sûr, répond le spécialiste Jacques Capdevielle.

Sont-ils arrivés en bout de course ? Après les Indignados de la Puerta del Sol à Madrid en juin dernier, Occupy Wall Street à New York en novembre, c’était au tour des campeurs d’Occupy London de lever le camp ce mardi 28 février. Le mouvement des Indignés - ou des "99%"- vit-il ses dernières heures ?

Certes, tous ces mouvements contestataires avides de justice économique et sociale qui ont émergé l’année dernière à travers le monde n’ont pas dit leur dernier mot - un nouveau groupe, les Occupy Erevan, vient même de voir le jour en Arménie. Mais les fers de lance du mouvement, ceux qui avaient donné aux Indignés une visibilité internationale, ont successivement disparu de la scène publique et médiatique.

L’essoufflement des 99%

"On note, il est vrai, un essoufflement de ces courants altermondialistes un peu partout sur la planète", note Jacques Capdevielle, chercheur au Centre d'études de la vie politique

française (Cevipof) et spécialiste des mouvements sociaux. "Je ne sais pas si l’on peut parler de la fin des Indignés, mais en tous les cas, on note une pause, un ralentissement de leur mouvement."

Un "ralentissement" difficilement compréhensible au regard de la mauvaise santé économique mondiale. Partout encore, la crise vit de belles heures. En Espagne et en France, le chômage continue inlassablement de progresser, en Grèce les plans d’austérité se succèdent et aux États-Unis la dette souveraine reste un casse-tête économique. Pour Jacques Capdevielle, justement, c’est là que le bât blesse. "Si la force des Indignés a été la rencontre physique à travers le monde, le dialogue, le rassemblement, leur faiblesse est de n’avoir été lié à aucun parti politique. Ils ne se sont pas suffisamment investis dans les problèmes qu’ils dénoncent", relève le spécialiste.

Pas de dénominateur commun

Les Indignés, il est vrai, ont toujours revendiqué leur apolitisme, préférant les actions citoyennes - rassemblements dans des parcs municipaux par exemple – aux dialogues avec les députés. "Ils ont marqué une distance avec les politiques pour une bonne raison : ils ne voulaient pas accéder au pouvoir", rappelle le chercheur. "Mais tenir dans le temps sans pénétrer le système, sans revendications communes et sans leader commun s’avère compliqué", ajoute-t-il.

Dans chaque pays, en effet, les contestataires ont décliné leurs doléances en fonction des difficultés nationales. Pourtant unis dans leur mécontentement, les Indignés n’ont jamais vraiment réussi à donner une cohérence à leur mouvement. "Dans les États anglo-saxons, les protestataires pointaient surtout du doigt les dérives de la finance. Mais en Grèce, ils luttaient surtout contre les plans de rigueur imposées à la population", rappelle Jacques Capdevielle à titre d’exemple. Et la liste pourrait s’allonger : en Israël, les Indignés s’insurgeaient contre la chereté du logement et en Espagne, ils réclamaient la fin d’un système politique dominé par le bipartisme…

S’ils n’ont pu atteindre leurs objectifs, ces révoltés romantiques pour les uns ou indignés politiques pour les autres ont toutefois réussi à transmettre leur message. Mieux, ils laisseront sans doute un héritage conséquent, estime Jacques Capdevielle. Linguistique tout d'abord, le terme "99%" est désormais intrinsèquement lié à leur mouvement. Ethique ensuite. "Les Indignés sont parvenus à pénétrer dans des pays où l’idéologie de la finance semblait accepté par tous", rappelle le chercheur. "Si leur message politique n’a pas abouti à l’effondrement du système en place, la charge morale et symbolique de leur mouvement restera ancrée dans les esprits", ajoute-t-il. Avant de conclure sur une note presque poétique : "Tant que le politique ne jouera pas son rôle, tant qu’il s’abritera derrière les marchés pour décider de l’avenir de son pays, des mouvements sociaux continueront à voir le jour en tous lieux. Si les Indignés s’éteignent aujourd’hui, c’est peut-être aussi pour mieux renaître sous une autre appellation demain."