, envoyée spéciale à Athènes – Depuis deux ans, les églises orthodoxes de la paroisse de Glyfada, dans la banlieue d'Athènes, voient affluer de plus en plus de désœuvrés aux repas qu'elles distribuent. Aux immigrés d'Europe de l'Est se joignent désormais des Grecs.
"Avant, 20 ou 25 personnes venaient manger ici, à l'église de Voula. C'étaient essentiellement des sans-abri. Maintenant, on voit arriver des familles, des travailleurs, mais qui ne s'en sortent pas". Dans son bureau proche de l'église en question, le père Konstantinos, à la tête de la métropole [archevêché orthodoxe] de Glyfada, qui regroupe cinq paroisses du sud d'Athènes, secoue tristement la tête. La crise n'a pas épargné cette banlieue plutôt aisée d'Athènes, où il officie depuis dix ans. Avant, c'étaient majoritairement des étrangers venus d'Europe de l'Est qui venaient frapper à la porte de l'Eglise orthodoxe pour chercher un peu de nourriture et de quoi se vêtir. "Il y a aussi de plus en plus de Grecs aussi, ajoute le religieux. C'est vraiment un phénomène nouveau, ici."
Au sein de cette métropole orthodoxe, chaque paroisse organise la soupe populaire et les traditionnelles bonnes œuvres à sa façon. La métropole, elle, se charge de récupérer les dons collectés dans les supermarchés et de les redistribuer aux différentes églises. C'est le fruit d'une opération lancée en décembre dernier, 15 jours avant Noël, par la télévision nationale Blue Sky et l'Église grecque. À Glyfada, 20 tonnes de produits non périssables ont ainsi été distribuées - en plus des 400 repas chauds donnés chaque jour dans les 20 églises que compte la métropole. Face aux demandes de plus en plus pressantes, l'Eglise grecque s'est aussi mise à récolter des vêtements.
"Chaque jour, la situation empire pour les gens du fait des taxes de plus en plus nombreuses et des salaires de moins en moins élevés, poursuit le père Konstantinos. Alors, il nous arrive parfois de leur donner un peu d'argent pour qu'ils puissent régler leurs factures". Distribuée au compte-goutte et après maintes vérifications, cette aide - 100 euros en général - est rarement accordée deux fois à la même famille. Sauf circonstance exceptionnelle. À la métropole, les demandes d'aide explosent. "Avec les coupes dans les salaires, on demande maintenant à des gens qui travaillent de vivre avec 800 euros par mois. Vous vous rendez compte ?", s'insurge le prêtre. Son indignation sonne étrangement : l'oreillette de son téléphone portable vissée à l'oreille, il quitte l'archevêché pour l'église où il officie, dans le nord de Glyfada, au volant de sa rutilante BMW. "Je l'ai achetée avant la crise", s'excuse-t-il un peu piteusement.
"Des repas chauds et bons"
Comme les fonctionnaires, son salaire, versé par l'Etat, a été amputé d'un tiers en deux ans. Mais la très puissante Église grecque, deuxième propriétaire de biens immobiliers du pays, reste exemptée de la nouvelle taxe foncière. Ce qui n'a pas manqué de soulever une polémique. L'évocation de ce sujet agace visiblement le père Konstantinos, qui l'évacue d'un revers de la main : "Nous aidons les pauvres, c'est ça notre contribution". Et justement, dans son église, une quinzaine de personnes attend qu'un repas leur soit servi. "Normalement, 35 personnes viennent manger ici. Mais le midi, les enfants sont à l'école, par conséquent certaines ne viennent pas", précise-t-il.
Les repas sont consciencieusement élaborés par quatre volontaires, sous la houlette d'un ancien chef cuisinier de l'hôtel Hilton, membre de la paroisse. "Les repas sont chauds et, surtout, ils sont bons", assure une des bénévoles. L'odeur alléchante qui se dégage des marmites lui donne raison. Dans le réfectoire de l'église, la quinzaine de personnes venue déjeuner récite la prière avant de s'attabler. Si des visages restent graves, l'ambiance est plutôt détendue. Mary, une Grecque, vient ici tous les jours. Depuis que son mari est mort d'un cancer en septembre, elle ne s'en sort pas. "Le père Konstantinos m'a énormément aidée, même si je ne suis pas orthodoxe. Je lui doit tout, témoigne cette jeune mère de deux enfants. Sans lui, sans l'église, je ne sais pas comment je me serais débrouillée".
À Athènes, les soupes populaires sont prises d'assaut
À la soupe populaire, au coin de la rue Sofokleus et Piraeus, dans le centre d'Athènes, l'ambiance est radicalement différente. La tension est palpable, les visages sont fermés, les regards méfiants, les gens se bousculent, des bagarres éclatent. Dans l'immense file d'attente, se trouvent de très nombreux enfants. "Parfois, ce sont des enfants tout seuls, on ne sait pas d'où ils viennent", raconte Marie Pini, responsable municipale.
Ici, la ville distribue deux repas par jour. Quelque 500 portions le midi, 900 le soir. L'afflux est tel que la police a été dépêchée pour maintenir un semblant de calme dans la file et éviter les débordements. "Le soir, nous nous occupons surtout des sans-abri et des toxicomanes, explique Maria Pini. Les gens de la classe moyenne viennent plutôt le midi, ou viennent prendre un peu de pain, de farine, de sucre ou de conserves quand des distributions sont organisées pour aller cuisiner chez eux, c'est une habitude que les gens ont gardée. En ce moment, la situation est chaotique. Nous sommes débordés".