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"La mise en place de corridors humanitaires n'a aucune chance d’aboutir"

Le ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé, a de nouveau proposé de créer des corridors humanitaires en Syrie. Une idée qu'il avait déjà défendue en novembre dernier, mais restée sans suite. Décryptage avec le spécialiste Fabrice Balanche.

Ce mercredi 15 février, sur les ondes de France Info, Alain Juppé, le chef de la diplomatie française, a de nouveau évoqué la mise en place de couloirs humanitaires en Syrie, un vœu qu'il avait déjà émis en novembre dernier mais resté pieux face au refus catégorique de Damas. "Il faut protéger les populations et la dimension humanitaire est très importante, a déclaré le ministre français des Affaires étrangères. L'idée de corridors humanitaires permettant aux ONG d'atteindre les zones qui font l'objet de massacres absolument scandaleux devrait être reprise par le Conseil de sécurité." Cette initiative peut-elle faire plier le régime de Bachar al-Assad ? Fabrice Balanche, maître de conférence à l’université Lyon-2 et directeur du Groupe de recherches et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient (Gremmo) livre des éléments de réponse à FRANCE 24.

FRANCE 24 : L’idée d’ouvrir des corridors humanitaires en Syrie a été ressortie par Alain Juppé trois mois après qu'il a déjà mis cette proposition sur la table. A-t-elle plus de chance d’aboutir aujourd'hui ?

Fabrice Balanche : Cette proposition intervient à la suite du nouvel assaut qui a été lancé sur la ville de Homs. La communauté internationale, et en France le Quai d’Orsay, ne pouvait pas rester sans rien faire, ou du moins sans rien dire. Mais sur cette question, le régime syrien ne fléchira pas. Pour lui, Homs n’est rien d’autre qu’un foyer aux mains de terroristes qu’il faut annihiler. Autoriser l’envoi d’un convoi humanitaire sur ses terres

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Homs sous les bombes

serait un aveu de faiblesse de sa part et lui ferait courir le risque d’être accusé de crime contre l’humanité.
Ce projet n’a donc aucune chance d’aboutir et les pays qui s’opposent à Bachar al-Assad le savent. Mais face aux crimes commis chaque jour, il faut réagir, surfer sur l’émotion, occuper l’espace médiatique, faire dans la surenchère…
Pour 2012, il n’y a déjà plus rien à espérer, la situation n’évoluera certainement pas favorablement avant 2013.


Pourquoi la France revient-elle à la charge maintenant ? Faut-il y voir une stratégie particulière ?

F.B : En France, le contexte est évidemment particulier car on est dans une année électorale majeure. Alain Juppé, pour sa part, ne sait pas s’il sera encore en poste en mai (au lendemain du second tour de l’élection présidentielle, NDLR). Pour lui, le temps presse, il faut agir vite. D’autant plus que, une fois la rébellion réprimée, Bachar al-Assad contrôlera à nouveau pleinement la situation et la question de l’envoi de convois humanitaires sera alors complètement caduque. Pour les autorités syriennes, la recette est simple : on mate l’opposition et l’apaisement sera retrouvé.
Autre motif d’inquiétude, mais qui touche cette fois l’ensemble de la communauté internationale : le Qatar cèdera fin mars la présidence de la Ligue arabe à l’Irak, allié de Damas…


La France cherche-t-elle à jouer un rôle de leadership dans le dossier syrien ?

F.B : La France entretient un lien particulier avec des pays comme la Syrie ou le Liban, qui ont été sous mandat français (la Syrie le fut entre 1920 et 1946, NDLR). Et puis, les autorités françaises entendent peut-être surfer sur le succès de leur intervention en Libye.
Il ne faut pas oublier qu’en son temps, Jacques Chirac avait fait de la Syrie son allié, en dépit des exactions commises par Hafez al-Assad, le père et prédécesseur de Bachar. Aujourd’hui la France se positionne au cas où l’opposition syrienne qu’elle soutient viendrait à l’emporter. La Syrie redeviendrait alors un partenaire commercial majeur pour Paris. Enfin, un rapprochement avec un nouvel État syrien permettrait aux autorités françaises d’être présentes dans les négociations de paix israélo-palestiniennes.