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"La diplomatie chinoise est plus pragmatique qu'idéologique"

Alors que la répression se poursuit en Syrie, Pékin, à l'image de Moscou, prône toujours la non-ingérence dans les affaires de Damas. Comment expliquer l'attitude de la Chine qui n'a pourtant pas d'intérêts économiques ou militaires en Syrie ?

Depuis le début du soulèvement en Syrie, et de la violente répression qui s’en est suivie, la Chine semble être l'un des plus fidèles soutiens de Damas, prônant la neutralité, en arguant qu’il s’agit d’affaires internes au pays. Mais cette attitude n’est pas sans surprendre de la part de Pékin qui, contrairement à Moscou, n’a que peu d’intérêts économiques ou militaires en Syrie.

Encore lundi, le plus haut responsable de la diplomatie chinoise, Dai Bingguo, s’est

entretenu au téléphone avec la secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton à ce sujet. Déclarant que les violences en Syrie étaient "pour l'essentiel une affaire interne", il a une nouvelle fois défendu la position de non-ingérence de la Chine dans les affaires syriennes.

"La Chine a toujours été contre le droit d’ingérence, c’est un des mots d’ordre de sa politique étrangère", explique Alice Ekman chercheur spécialiste de la Chine à l’Institut français des relations internationales et enseignante à Sciences Po.

Pékin, fidèle allié de Moscou

Le 4 février, et malgré des massacres toujours plus violents commis à Homs notamment, Pékin et Moscou ont opposé leur veto à une résolution du Conseil de sécurité qui condamnait la répression exercée par le régime de Bachar al-Assad. Nombre de voix s’étaient alors élevées au lendemain du vote pour dénoncer ce veto, le Conseil national syrien (CNS) allant jusqu'à le qualifier de "permis de tuer".

Pour Alice Ekman, l'attitude de la Chine envers la Syrie s'explique en partie par sa volonté d'entretenir de bonnes relations avec Moscou. "Même si les autorités chinoises savaient que leur veto aurait un impact négatif auprès des Occidentaux, cela restait un risque calculé car elles gagnaient davantage à soutenir la Russie", explique la spécialiste. "Il y a surtout une logique de donnant-donnant : avec le cas syrien, Pékin soutient Moscou au Conseil de sécurité là où ce dernier a des intérêts. La Chine sait que, de cette façon, elle ne sera pas isolée et pourra compter sur la Russie lorsqu’il s’agira de préserver ses propres intérêts", poursuit-elle.

Enfin, elle rappelle que si la Chine et la Russie n’ont pas les mêmes intérêts en Syrie, elles ont en commun le fait d’être des régimes autoritaires : "ces pays ne sont pas eux-mêmes à l’abri d’un soulèvement". Cela explique en outre leur frilosité à condamner la répression d’un soulèvement à l’étranger.

Le cas libyen, un point noir pour Pékin

Par ailleurs, Pékin a encore en mémoire l’intervention internationale en Libye qui a conduit à la chute de Mouammar Kadhafi. La Chine s’était abstenue lors du vote de la résolution qui prévoyait une zone d’exclusion aérienne. Or, elle considère que son abstention a favorisé la campagne aérienne de l’Otan.

L’intervention en Libye a eu de lourdes conséquences économiques en Chine qui y avait beaucoup d’intérêts. "L' intervention militaire en Libye a fortement déplu aux autorités chinoises qui aujourd’hui en tirent les leçons", explique-t-elle. "Pour les Chinois, ce n’est pas leur rôle de faire tomber un dirigeant quel qu’il soit", conclut Alice Ekman.

Reste à savoir, jusqu’où ira Pékin dans son soutien à Damas. Alice Ekman estime en effet "possible que Pékin change de position". "La politique étrangère chinoise est avant tout pragmatique, formulée au cas par cas, indépendemment des subtilités idéologiques", explique-t-elle. Et de conclure "Pékin peut très bien opérer un revirement de positionnement en fonction de l'évolution de la situation en Syrie".