Plus de 70 personnes ont été tuées mercredi soir dans des violences qui ont éclaté entre supporteurs après un match à Port-Saïd. Une partie de l'opinion publique dénonce une tragédie planifiée et pointe du doigt les pro-Moubarak encore au pouvoir.
Aux abords du stade de Port-Saïd, il est difficile d’imaginer jeudi matin qu’un drame s’y est produit quelques heures plus tôt. "Tout a été nettoyé, il ne reste plus que quelques banderoles déchirées", constate Sonia Dridi, envoyée spéciale de FRANCE 24 dans cette ville du nord de l'Égypte. Seul le fait que l’accès au stade soit bloqué pour ne pas gêner le travail des enquêteurs laisse deviner qu’un drame s’est produit.
Après le coup de sifflet final du match remporté par l'équipe locale d'Al-Masry (3-1) contre le club cairote d'Al-Ahli, l'une des formations les plus titrées du football égyptien, des violences ont éclaté mercredi 1er février dans la soirée.
Sur les images retransmises à la télévision égyptienne, on aperçoit des supporteurs du club d'Al-Masry envahir la pelouse et poursuivre les joueurs adverses. Un petit groupe de policiers anti-émeutes tente de protéger les joueurs d'Al-Ahli mais semble totalement débordé. Les supporters continuent de frapper à coups de pieds et de poings les joueurs tentant de fuir. D'autres membres des forces de l'ordre semblent eux se désintéresser totalement des événements. "Dans la panique, des supporters ont été piétinés, raconte Sonia Dridi. D’autres ont été tués à coups de couteaux ou encore jetés des gradins." Le bilan est d’au moins 74 morts et plusieurs centaines de personnes ont été blessées.
"Les hommes de Moubarak sont toujours au pouvoir"
L’origine de ces violences demeure floue, alors que des responsables sportifs et politiques ont dénoncé l'absence de sécurité autour de cette rencontre. "Il n'y avait aucune fouille à l'entrée du stade, tout le monde pouvait rentrer, témoigne un habitant de Port-Saïd interrogé par Sonia Dridi. Les violences ont été planifiées." Interrogé par la chaîne de télévision de son club, un joueur d'Al-Ahli, Mohamed Abo Treika, a déploré le manque d’encadrement lors de la rencontre : "Ce n'est pas du football. C'est la guerre et des gens meurent sous nos yeux. Il n'y avait aucun dispositif de sécurité, pas d'ambulances." L’Union européenne a demandé jeudi l’ouverture d’une enquête indépendante pour déterminer l’origine des violences.
Une partie de l’opinion publique égyptienne accuse, elle, les militaires et la police - proches de l’ancien régime - d'avoir permis, sinon provoqué, cette tragédie par incurie ou par calcul, estime la correspondante de FRANCE 24. "Ils tentent de semer le chaos en installant un dispositif de sécurité très faible alors que les deux équipes sont connues pour leur rivalité", ajoute-t-elle.
itInterrogé par la télévision égyptienne, Albadri Farghali, représentant de Port-Saïd au Parlement, approuve cette hypothèse : "Les forces de sécurité ont fait cela ou l'ont laissé se produire. Les hommes de Moubarak sont toujours au pouvoir", a-t-il vitupéré. Ajoutant : "Le chef du régime est tombé mais tous ses hommes sont toujours en place. Où est la sécurité ? Où est le gouvernement ?"
Dans la matinée, le ministre de l'Intérieur, Mohammed Ibrahim, a limogé Essam Samak, le directeur de la sécurité de la ville. Le gouverneur de Port-Saïd a également démissionné en milieu de journée et le Premier ministre Kamal al-Ganzouri a limogé la direction de la Fédération égyptienne de football.
Ces annonces n’ont pas semblé atténué la colère des Egyptiens, déterminés à manifester ce jeudi devant le ministère de l’Intérieur au Caire pour dénoncer l’incapacité de la police à mettre fin au bain de sang et exiger la démission du ministre de l’Intérieur.
"Les Ultras ont payé le prix fort pour leur mobilisation"
Certains Égyptiens estiment que les violences ont été déclenchées sciemment pour punir les Ultras d'Al-Ahli, un groupe de supporters du club du Caire très actifs l'année dernière lors des confrontations avec les forces de l'ordre pendant la révolution. Ce sont eux notamment qui avaient organisé la riposte contre les partisans de Moubarak à dos de dromadaires et de chevaux, le 2 février 2011. Avec le drame du stade de Port-Saïd, "ils ont payé le prix fort de leur mobilisation contre les forces de l’ordre", ajoute Sonia Dridi.
Les Ultras pointent du doigt le maréchal Mohamed Hussein Tantaoui, chef du Conseil suprême des forces armées (CSFA), au pouvoir en Egypte. "Nous voulons ta tête, traître Tantaoui. Tu aurais pu inscrire ton nom dans l'Histoire mais tu étais arrogant et tu as cru que l'Egypte et son peuple pourraient revenir en arrière et oublier leur révolution", écrivent les UTS sur leur page Facebook.
Le maréchal Tantaoui a promis que les responsables des violences seraient traqués et jugés. "L'Egypte sera stable", a-t-il déclaré, assurant que l'armée ne permettrait pas de faire dérailler le processus de transition qui prévoit la remise du pouvoir à un gouvernement civil d'ici fin juin. "Nous avons une feuille de route pour transférer le pouvoir à des civils élus. Quiconque prépare l'instabilité en Egypte échouera", a-t-il lancé.