Dans un rapport, la Cour des comptes juge que le prix de la production d’électricité nucléaire a été largement sous-évalué en France. Au total, 228 milliards d’euros ont été investis dans la filière depuis les années 1970.
Passé, présent, futur : la Cour des comptes a vu les choses en très grand. Dans son rapport sur le coût de la filière nucléaire en France, rendu public ce mardi 31 janvier, l'institution dresse, pour la première fois, le tableau de 40 ans de nucléaire civil dans l'Hexagone.
Ce rapport, très attendu, avait été commandé par le gouvernement français peu après la catastrophe de Fukushima, au Japon, en mars 2011. Effectué en seulement huit mois, ce travail de fourmi a accouché d’un éléphant qui fera probablement date dans le débat sur le nucléaire français car c'est la première fois que l'on dispose d'un chiffrage fiable du coût du nucléaire dans le pays.
Selon les rapporteurs de la Cour des comptes, depuis les années 1970, quelque 228 milliards d’euros ont été investis dans la filière nucléaire en France. La Cour prévient, en outre, que des incertitudes importantes quant aux coûts futurs risquent encore d’alourdir l’addition.
Si ce rapport se voulait un exercice comptable neutre censé “dépassionner le débat autour du nucléaire”, selon les termes de la Cour des comptes, c’est probablement l’inverse qui est en train de se produire. Peu avant la présentation publique du document, la ministre française de l’Écologie, Nathalie Kosciusko-Morizet, avait estimé sur la chaîne France 2 que malgré “les incertitudes sur certains coûts [relevés par la Cour des comptes], le nucléaire reste une énergie peu chère”.
Peu après la présentation du rapport, les opposants français au tout nucléaire se sont bousculés au portillon pour affirmer l’inverse. Pour la candidate écologiste à l’élection présidentielle, Eva Joly, il s’agit “d’un document vérité” qui met un terme à 50 ans de mensonge sur le prix de l’énergie en France.
“Jusqu’à présent, on nous disait que la production d’énergie coûtait 32 euros le kilowattheure [kWh] alors que le rapport souligne qu’il est plutôt de l’ordre des 50 euros et que si on met en route la centrale de Flamanville on dépasserait, du fait des investissements nécessaires, les 70 euros”, souligne à FRANCE 24 Stéphane Lhomme, président de l’Observatoire du nucléaire et candidat malheureux à la primaire d’Europe Écologie-Les Vert (EELV) pour l’élection présidentielle de 2012.
Coûts futurs
Outre le coût de la production d’électricité, ce rapport souligne le problème de la maintenance du parc des installations nucléaires en France. Selon la Cour des comptes, entre 2011 et 2025, les frais de maintenance des 58 réacteurs actuellement en fonctionnement devraient s’élever à 3,7 milliards d'euros en moyenne par an, soit le double des sommes dépensées par EDF et Areva entre 2008 et 2010. Une forte hausse qui s’explique, en grande partie, par les investissements nécessaires à la sécurisation des installations françaises afin de satisfaire aux nouvelles recommandations internationales décidées après la catastrophe de Fukushima.
Mais la maintenance inclut également l’épineuse question du démantèlement des neuf centrales de première génération actuellement à l’arrêt et de l’avenir de celles qui approchent les 40 ans d’existence. "D'ici la fin de l'année 2022, 22 réacteurs sur 58 atteindront leur 40e année de fonctionnement", rappelle la Cour des comptes. Sur ce point, elle demande au gouvernement des décisions “explicites” car le coût du démantèlement est difficile à évaluer si on ne sait pas quelles centrales vont continuer à fonctionner et lesquelles vont être mises à la retraite. “Nous craignons que les pouvoirs publics décident de ne rien décider jusqu’à ce qu’il soit trop tard pour faire autrement que d’investir pour prolonger leur durée de vie au delà de 40 ans”, prévient Stéphane Lhomme, qui espère que ce rapport permettra de rouvrir le dossier de l’avenir des énergies alternatives en France.
En réponse à ces interrogations sur le coûts futurs, le ministre de l’Industrie, Éric Besson, a signalé, mardi, que des “audits ont été lancés” sur les devis de démantèlement des centrales nucléaires françaises et que leurs résultats allaient être connus “avant la fin de l’année 2012”. Une manière de repousser après l’élection présidentielle le débat sur les coûts à venir de la filière du nucléaire ?