
Dans un rapport publié mardi, l'Organisation internationale du travail (OIT) soutient que le modèle de croissance allemand fut l’une "des principales causes" de la crise de la zone euro. Une conclusion excessive ? Pas forcément.
Ce n’est qu’un encadré perdu dans un rapport de plus de 100 pages publié mardi 24 janvier par l’Organisation internationale du travail (OIT). Mais il a déjà fait couler beaucoup d’encre. L’institution internationale y soutient que le modèle de croissance allemand est l’une des principales causes à la crise actuelle de la zone euro. Une thèse à contre-courant du discours dominant qui présente l’Allemagne comme la locomotive européenne et le modèle à suivre.
"À cause de sa politique économique menée depuis le début des années 2000, l’Allemagne peut en effet être considérée plutôt comme un frein que comme un moteur à la croissance européenne”, reconnaît à FRANCE 24 Till van Treeck, économiste à l’IMK, un institut de recherche allemand en macro-économie. Le rapport de l’OIT établit ainsi un lien direct de causalité entre la grande réforme du marché du travail allemand entrepris en 2003 par le gouvernement de Gerhard Schröder et la situation économique actuelle dans la zone euro. En réduisant les allocations chômage, les prestations sociales et en simplifiant la réglementation du marché du travail, l’Allemagne voulait "regagner en compétitivité après des années de vache maigre dues au coût de la réunification”, rappelle Sandrine Le Bayon, économiste spécialiste de l’Allemagne à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).
Conséquence de cette politique : les entreprises allemandes ont recommencé à exporter et la croissance a marqué son grand retour en Allemagne. “Mais cette croissance par les exportations s’est fait au détriment des autres pays européens”, analyse Till van Treeck. Avec des salaires qui n’ont quasiment pas augmenté depuis le début des années 2000, la consommation intérieure allemande ressemble à une morne plaine qui prive les exportateurs des autres pays européens d’un débouché vital.
Une situation qui a contribué à faire basculer dans le rouge la balance commerciale de pays fragilisés comme l’Espagne ou l’Irlande, creusant ainsi leur déficit. La crise des "subprimes "a, ensuite, agi en 2008 comme un détonateur “qui a révélé au grand jour les vices cachés, dont le modèle de croissance allemand, de la construction économique européenne”, affirme Sandrine Le Bayon. L'analyste juge cependant un peu excessif de tout mettre sur le dos des Allemands et souligne que la propension de certains États de la zone euro, comme le Portugal ou la Grèce, à s’endetter “de manière excessive” fut tout aussi préjudiciable.
Égoïsme
Mais il est vrai, selon elle, que “l’Allemagne a longtemps adopté une stratégie non-coopérative en matière économique”. Une manière polie de dire que Berlin a adopté une attitude égoïste qui “symbolise cet autre problème européen qui est le manque de solidarité entre les pays de la zone euro”, regrette Till van Treeck. Surtout, cet économiste allemand note que “depuis le début de la crise grecque, il n’y a absolument aucune remise en cause en Allemagne de ce modèle de croissance et c’est probablement le plus grand danger actuellement pour la zone euro”.
Ainsi, l’inscription dans les traités européens de l’objectif de réduction de déficit assorti de sanctions en cas de dépassement rejoint certes le modèle économique allemand mais serait “contre-productif aussi bien pour l’Allemagne que pour les autres pays”, estime Till van Treeck. Pour lui, les efforts d’austérité budgétaire que les autres pays doivent consentir pour faire baisser leur déficit assécheraient la consommation intérieure un peu partout en Europe et priveraient en conséquence l’Allemagne de débouchés pour ces précieuses exportations. En poussant vers plus de rigueur au niveau européen, Berlin sape, en fait, le principe fondateur de sa croissance.
“Si l’Europe veut vraiment sortir de la crise, l’une des premières choses à faire serait que l’Allemagne stimule fortement sa demande intérieure pour aider les exportations de ses voisins”, explique Till van Treeck. Pour ce faire, le gouvernement de la chancelière Angela Merkel devra favoriser l’augmentation des bas salaires, ce qui a “commencé à se produire en mai 2010 lorsque la croissance allemande était forte”, rappelle Sandrine Le Bayon. Mais avec le retour de la récession en Europe, Berlin risque de mettre un coup d’arrêt à cette revalorisation salariale à la hausse.