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"Il est trop tôt pour parler de réconciliation" entre l’Algérie et le Maroc

La visite du chef de la diplomatie marocaine, Saad Eddine Othmani (photo), en Algérie relance les espoirs de détente entre les deux pays. Mais pour la spécialiste du Maghreb Khadija Mohsen-Finan, la brouille est loin d’être terminée.

Les deux pays les plus peuplés du Maghreb seraient-ils sur le point de se réconcilier ? Brouillés depuis deux décennies, l’Algérie et le Maroc semblent s’être engagés sur la voie d’une relative détente, comme l’atteste la visite ce lundi à Alger du nouveau ministre marocain des Affaires étrangères, Saad Eddine Othmani. Celui-ci doit être reçu par son homologue algérien, Mourad Medelci, ainsi que par le président Abdelaziz Bouteflika, pour ce qui constitue la première visite dans le pays d’un chef de la diplomatie marocaine depuis 2003.

Côté marocain on veut croire que le déplacement pourra permettre de "raffermir les liens de fraternité et de coopération" entre les deux pays, selon le porte-parole algérien du ministère des Affaires étrangères. Déjà en juillet 2011, le roi du Maroc, Mohammed VI, avait profité de son discours du Trône pour appeler à un rapprochement avec l’Algérie et à l’ouverture de leur frontière commune, fermée depuis 1994. Un attentat meurtrier perpétré à Marrakech et imputé par Rabat aux services de renseignements algériens, avait alors entraîné la fermeture des postes frontières entre les deux pays.

Mais un autre important sujet de discorde demeure : le Sahara occidental. Ce territoire, annexé en 1975 par le Maroc, jouit aujourd’hui d’une autonomie partielle sous la tutelle de Rabat, tandis qu’Alger soutient le front indépendantiste Polisario. Une médiation internationale, initiée par l’ONU, n’est toujours pas parvenue à résoudre le différent.

Interrogée par France 24, Khadija Mohsen-Finan, spécialiste du Maghreb à l’Université Paris-VIII et ancienne directrice du département Maghreb de l’IFRI estime qu’en dépit de cette visite symbolique, une réconciliation n’est toujours pas d’actualité entre Rabat et Alger.

France 24 : Cette visite, la première d’un chef de la diplomatie marocaine en Algérie depuis huit ans, peut-elle mener les deux pays à une véritable réconciliation ?

Khadija Mohsen-Finan : Il est beaucoup trop tôt pour parler de réconciliation. Les vieux poncifs, les vieilles rancœurs sont toujours là et même très présents. Aujourd’hui, ce qu’on cherche c’est une issue à cette situation, mais les blocages persistent. Ainsi, l’Algérie a imposé des conditions : les sujets du Sahara occidental et de l’ouverture de la frontière seront mis de côté. Il n’y a pas de raisons pour que ces deux verrous sautent. Le nouveau pouvoir marocain s’est dit ‘allons sans complexes frapper à la porte du voisin algérien, on verra s’il nous dit oui ou s’il nous dit non’. De son côté, le président algérien Bouteflika pourra toujours dire ‘je suis ouvert, je les ai reçus’. Mais rien n’indique qu’une détente est en cours.

Pourquoi cette visite intervient-elle aujourd’hui, le contexte a-t-il changé entre les deux pays ?

Si les choses ont changé, c’est surtout côté marocain, avec l’arrivée au pouvoir des islamistes du PJD [le Parti de la justice et du développement]. Reste à savoir si le PJD va évoluer sur ses positions. Maintenant qu’il est élu, peut-être va-t-il adopter une nouvelle approche, car depuis 1998, il tendait à être plus royaliste que le roi et beaucoup plus ferme sur le Sahara que les autres partis.
Le Maroc a besoin de résoudre le problème du Sahara occidental, mais je ne vois pas Bouteflika lui tendre les bras. Les classes dirigeantes sont attentives aux demandes de la population, mais alors que le Maroc veut une normalisation, pourquoi l’Algérie changerait-elle de position ? Le pays veut conserver son hégémonie sur la région. Une ouverture pourrait remettre en cause le nationalisme dans lequel puise régulièrement le pouvoir.

Le printemps arabe peut-il entraîner dans son sillage la relance de l’Union du Maghreb arabe (UMA) ?

Le contexte régional a changé. Le printemps arabe a interpellé les habitants du Maghreb sur la manière dont ils vivent, mais de là à ce qu’il pousse les autorités à opérer des changements géopolitiques, c’est une autre question. Les Tunisiens et les Libyens ont fait revivre la demande de coopération régionale et évoqué l’UMA, inactif ou presque depuis sa création en 1989 et dont l’une des clauses est la préférence maghrébine. Les marocains veulent saisir cette occasion, même le roi Mohammed VI a évoqué l’UMA. Aujourd’hui, il y a un espoir que les deux pays s’inscrivent dans une dynamique régionale pour tenter de sortir d’un tête-à-tête qui avait figé les choses.