Quelque 2,8 millions d'électeurs issus des DOM-TOM, diaspora incluse, seront invités à prendre part à l'élection présidentielle française. Un vivier de voix que les candidats en campagne s'emploient à courtiser. Pour quels résultats ?
C'est un passage incontournable de la campagne présidentielle française. François Hollande, candidat du Parti socialiste (PS), s'est rendu la semaine dernière en Guadeloupe et en Martinique avant de terminer sa tournée par une brève escale en Guyane. Cinq jours plus tard, c'est au tour du président Nicolas Sarkozy, qui n'a toutefois pas encore déclaré officiellement sa candidature, de se rendre dans le département d'outre-mer (DOM) situé en Amérique du Sud.
Au 1er janvier 2011, la France compte 1,9 million de personnes dans les départements d’outre-mer (DOM) et 795 000 habitants des collectivités d’outre-mer (COM).
Les départements d'outre-mer (DOM) :
- la Guadeloupe et dépendances : Îles des Saintes; Marie-Galante et la Désirade.
- la Martinique
- la Guyane
- La Réunion
- Mayotte (depuis 2011)
Les collectivités d'outre-mer (COM) :
- Saint-Pierre-et-Miquelon
- Saint-Barthélemy
- Saint-Martin
- Wallis-et-Futuna qui garde dans les faits l’usage du terme de "territoire d’outre-mer"
- Polynésie française qui a la dénomination particulière de "pays d’outre-mer"
- La Nouvelle-Calédonie bénéficie d'un statut transitoire de "collectivité" en en attendant le référendum d’autodétermination prévu à partir de 2014 sur l’indépendance.
Mathématiquement, les collectivités d'outre-mer sont un vivier de voix non négligeable pour les candidats à la présidentielle. Pour qui concourt à l’Élysée y faire escale est une étape obligée. Mais selon Bruno Jeanbart, directeur des études politiques chez Opinion Way, "le passage par l’outre-mer relève davantage du symbole", l'occasion pour le candidat de lancer sa campagne au niveau national. "Sa venue permet aussi de motiver les troupes locales de son parti", précise-t-il. "Et de montrer son intérêt pour toutes les couches de la population, aussi faible soit-il."
Lors de l'élection présidentielle 2007, les 11 territoires ultramarins (voir encadré ci-contre) ont représenté plus de 1,5 million d'électeurs, soit 3,5 % des suffrages, selon les chiffres du ministère de l'Intérieur, - sans compter les 1,8 million issus de la diaspora. Nicolas Sarkozy avait réalisé son meilleur score en Nouvelle-Calédonie avec 63 % des suffrages (contre 53% au niveau national). De son côté, sa rivale socialiste, Ségolène Royal ,avait signé de très bons scores à La Réunion (63 %) et en Martinique (60 %), au-delà des 47 % à l'échelle nationale.
"Toutes les voix comptent"
Toutefois, les experts s'accordent à dire que, cette année, le vote des départements et territoires d'outre-mer pourrait faire la différence dans cette élection qui s'annonce très serrée. "Compte tenu de l'émergence des candidats des petits partis, toutes les voix vont compter au premier tour", assure Guy Numa, professeur assistant en économie à l'université Stony Brook de l'État de New York. L'histoire a déjà montré qu'un résultat pouvait se jouer à peu de voix : le 21 avril 2002, moins de 200 000 bulletins séparaient le candidat du Front national (FN), Jean-Marie Le Pen, du candidat socialiste, Lionel Jospin, éliminé dès le premier tour de la présidentielle.
Le vote ultra-marin a la spécificité de présenter un faible impact pour le FN. "Il se répercute généralement sur les deux grands partis l'UMP [au pouvoir] et le PS", précise Bruno Jeanbart. Historiquement, la Polynésie, la Nouvelle-Calédonie ainsi que Wallis-et-Futuna sont majoritairement à droite tandis que les Antilles, La Réunion et Saint-Pierre-et-Miquelon sont fortement ancrés à gauche. "Quantitativement, les Ultra-Marins sont plus tournés vers la gauche. Et ce d’autant plus que La Réunion, la Guadeloupe et la Martinique sont bien plus peuplées que le reste des territoires et collectivités d'outre-mer", ajoute Guy Numa.
Il semble donc que François Hollande parte avec un net avantage pour s'y imposer : "Il bénéficie d'un contexte favorable à la gauche dans cette élection marquée par la crise économique et le chômage qui touche en moyenne 20 % de la population dans les DOM, estime Bruno Jeanbart. Mais aussi parce que le relais des élus locaux est bien plus important qu'en 2007."
"Ras-le-bol du sarkozysme"
Il n'existe pourtant pas un vote d'adhésion pour ce candidat en particulier, estime Guy Numa. "Il y a surtout un ras-le-bol de Sarkozy, notamment aux Antilles et à La Réunion. Il me semble être très mal conseillé sur les questions de l'outre-mer." Depuis la grève générale contre la cherté de la vie en 2009, rien n'a changé. "Je suis très pessimiste car cela n'avance pas", commente Guy Numa. Et de poursuivre : "Mais il faut dire qu'Hollande n'y connaît rien non plus sur le dossier outre-mer".
Pour preuve, les candidats sur place ont l'habitude d'évoquer le problème du chômage, qui frappe jusqu’à 60 % des jeunes en Guadeloupe. "Ils ne comprennent pas que le réel problème est l'absence de production sur l'île", renchérit Guy Numa. Conséquence : une absence du secteur privé et pas de création d'emplois. Depuis 1980, l'indice de création d'emplois en outre-mer augmente quatre fois moins vite qu'en France métropolitaine.
Parmi les pistes évoquées pour relancer l'emploi : développer le tourisme à thème en ciblant notamment les voyageurs les plus aisés et mettre en avant le potentiel naturel de chacune des îles. À condition de lever un autre obstacle : "Aujourd'hui, les Conseils régionaux et généraux ont des marges de manœuvre très faibles pour agir et mettre en place des projets, dénonce Guy Numa. Il faut arrêter de centraliser les pouvoirs car tant qu'il n'y aura pas de forte gouvernance locale, il n'y aura pas de politique locale forte."