
Poursuivi pour homicides multiples, naufrage et abandon du navire, Fransesco Schettino est sorti de prison mais sera assigné à résidence, dans l'attente de son procès. Une Allemande portée disparue a été retrouvée vivante dans son pays.
Le commandant du Costa Concordia dont le naufrage vendredi a fait 11 morts et au moins 20 disparus, a pu rentrer chez lui ce mercredi, à la surprise générale. Cette remise en liberté ordonnée par la juge Valeria Montesarchio n'équivaut cependant pas à un abandon des poursuites. Le capitaine Fransesco Schettino désormais assigné à résidence est mis en cause pour homicides multiples par imprudence, naufrage et abandon de navire.
La législation italienne lui interdit de sortir de chez lui - pour éviter un danger de "dissimulation de preuves" - et de communiquer avec qui que ce soit, hormis son avocat et ses proches du "premier degré".
Erreur initiale
Dans le compte-rendu de son interrogatoire de trois heures mardi, le commandant du Concordia a uniquement reconnu une erreur initiale : avoir fait effectuer au navire "l'inchino" (la révérence) pour saluer un ex-commandant résidant une partie de l'année sur l'île du Giglio. "Je naviguais à vue parce que je connais bien ces fonds et j'avais fait cette manoeuvre trois ou quatre fois, mais là, j'ai viré trop tard", a-t-il fait valoir.
C'est la conversation téléphonique la plus écoutée au monde. L'échange entre le commandant bredouillant et le chef de la capitainerie l'exhortant à regagner son navire pour coordonner les opérations de sauvetage a fait le tour de la planète.
"Remontez à bord bordel de merde", peut-on y entendre. Le capitaine Gregorio De Falco est exaspéré par le comportement démissionnaire du commandant du Concordia et perd son sang-froid après l'avoir rappelé plusieurs fois à son devoir.
Une hausse de ton aujourd'hui saluée par l'Italie. "Notre pays a bseoin de gens comme vous", commente le quotidien italien Corriere della Sera qui dépeint deux visages de l'Italie : "Deux hommes, deux marins, deux histoires, l'une qui nous humilie, l'autre qui tente de nous racheter".
Pourtant, le capitaine se targue d'avoir opéré une manœuvre d'urgence que son avocat a qualifiée de "brillante" pour faire échouer le bateau près du rivage et ainsi sauver des "milliers de vies". Une version contestée par des enquêteurs, selon lesquels la salle des machines était déjà inondée et le paquebot ingouvernable.
Qu'importe, le commandant continue de se dédouaner. Il cherche avant tout à se justifier de l'accusation "d'abandon de navire". Devant la juge, il a dit "être tombé dans une chaloupe de sauvetage" quand le bateau a commencé à s’incliner. Après avoir regagné la terre ferme - d'où il a regardé les opérations de secours pendant plusieurs heures -, il aurait été dans l'incapacité de retourner à bord car l’espace était obstrué par les embarcations de secours !
Collectif des familles de victimes
Une version des faits qui ne convainc guère les familles des disparus. Certaines d'entre elles, à l'initiative d'Anne Decré, une rescapée, ont décidé de se regrouper en un collectif afin de "partager informations et angoisses" avant de penser au dépôt de plainte.
"Ce collectif a pour but de s'entraider et de se sentir moins seul", a expliqué par téléphone à l'AFP Anne Decré, qui souligne d'emblée "qu'il n'y a pas urgence" à envisager des dépôts de plainte.
"Nous venons juste de renter chez nous et dans un premier temps, nous devons gérer beaucoup de choses" comme le problème des effets personnels restés sur le bateau ainsi que "les traumatismes pour lesquels il va falloir du temps", a estimé la rescapée qui faisait partie des 462 passagers français participant à la croisière en Méditerranée.
Un avocat du barreau de Toulon, Me Frédéric Casanova, a indiqué mardi avoir déposé plainte
"Je suis arrivé sur le navire avec le bateau qui a ramené les premiers survivants et est retourné prendre les suivants. Je suis monté à l'aide d'une échelle de corde et, sur place, j'ai trouvé beaucoup de confusion, un peu de peur, mais pas de panique", raconte Mario Pellegrini, maire-adjoint de l'île du Giglio et l'un des premiers sauveteurs à être montés à bord du Concordia vendredi soir.
"J'ai cherché des officiers, mais je n'en ai pas trouvé, juste quelques commissaires et des membres de l'équipage pleins de bonne volonté, mais sans aucune expérience de la mer. On s'est organisé tant bien que mal pour évacuer les passagers du côté droit du navire en faisant d'abord passer les enfants", précise-t-il.
"Je suis revenu deux fois sur mes pas, j'ai cherché des survivants en appelant même avec un mégaphone, puis quand nous avons constaté qu'il n'y avait personne dans la partie [immergée] du navire, nous avons poursuivi l'évacuation des passagers".
à titre individuel au nom de trois passagers rescapés sur les chefs de "non-assistance à personne en danger, mise en danger de la vie d'autrui, homicide involontaire et manquements aux consignes de sécurité".
Le bilan du naufrage est actuellement de 11 morts dont six ont été formellement identifiés : deux touristes français, un Italien et un Espagnol, ainsi que deux membres de l'équipage, l'un Péruvien, l'autre Hongrois. Une Allemande portée disparue a néanmoins été retrouvée vivante mercredi soir dans son pays où elle s'est présentée aux autorités locales
Un deuil difficile
Côté sauvetage, les recherches pour retrouver les disparus se poursuivent tant bien que mal dans une mer passsablement agitée. Mercredi, par mesure de sécurité, les sauveteurs italiens ont dû suspendre les opérations, leurs instruments de mesure ayant enregistré "un déplacement du navire". Sur la rive, beaucoup de familles attendent toujours des nouvelles de leurs proches, malgré le très maigre espoir de retrouver des vivants. Logés à l’Hotel II Sole d’Ortebello, ces parents traumatisés se pressent quotidiennement autour des représentants de Costa Croisière pour avoir les dernières nouvelles.
"Ils ont le coeur brisé et l'esprit bouleversé", a déclaré Stefano Milano, chef d'une équipe de psychologues qui les assistent 24 heures sur 24 depuis le début de la tragédie. "Cela prendra des mois avant qu'ils se remettent", estime-t-il.
Selon le psychologue, les plus affectés sont ceux qui étaient sur le bateau avec leurs proches dont ils n'ont plus de nouvelles depuis le naufrage. "Ils subissent un double traumatisme. Ils ne cessent de revivre ces moments dans leur mémoire. Il y a un constant sentiment de peur. Et ils ont vu la mort en face", ajoute-t-il.