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Tobin or not Tobin ?

La taxe Tobin refait surface dans le débat politique européen. Si Nicolas Sarkozy semble déterminé à l’instaurer, ce n'est pas forcement le cas des autres chefs d’État européens. Mais à quoi sert exactement cette taxe ? Décryptage.

Il a décidé de faire cavalier seul. Contre vents et marées et malgré la désapprobation de son voisin allemand, le président français Nicolas Sarkozy a réitéré lundi 9 janvier sa promesse de faire adopter en France une taxe sur les transactions financières, dite taxe Tobin.

Et à quelques mois de l’échéance présidentielle, rien ne semble faire fléchir le chef de l’État. Ni les réticences de la chancelière allemande Angela Merkel ni les piques de l’opposition, Parti socialiste en tête, qui lui reproche d’avoir retourné sa veste. "Nicolas Sarkozy a toujours combattu [cette taxe] alors que les socialistes l’ont toujours votée", a sèchement déclaré lundi 9 janvier Benoît Hamon, le porte-parole du PS. Ce n’est pas parce qu’il est pétri de la foi du néo-converti qu’il est devenu du jour au lendemain un altermondialiste."

Qu’importe ces invectives, Nicolas Sarkozy persiste et signe. Non, cette annonce n’est pas un "bluff" à fortes arrière-pensées électoralistes et oui, sa mise en œuvre participerait au "redressement de la situation provoquée depuis 2008 par des dérèglements scandaleux et inadmissibles", a déclaré le président français lors de sa rencontre à Berlin, lundi 9 janvier, avec la chancelière allemande.

Mais à quoi sert cette taxe dont l’application est redoutée par les uns et réclamée par les autres ? Qu’en pensent les pays européens ? Pourquoi effraie-t-elle les places financières ? France 24.com fait le point.

La taxe Tobin, c’est quoi ?

C’est une idée de l’économiste et prix Nobel d’économie James Tobin, qui fut conseiller du président John Fitzgerald Kennedy. Son principe consiste à faiblement taxer les transactions monétaires internationales (Bourse, marché obligataire, marchés dérivés, etc.). Et en ces temps de détresse économique, cette mesure pourrait être une véritable aubaine pour les caisses des États. Selon un rapport de l’association Oxfam, taxer globalement l’ensemble des transactions financières à un taux de 0,05 % pourrait rapporter environ 400 milliards de dollars par an au niveau mondial. Selon l’idée initiale de son inventeur, les fonds recueillis devaient être destinés à l’aide au développement.

Pourquoi la France y tient-elle vraiment ?

Alors qu’il s’opposait farouchement à cette taxe en 1999, susceptible, avançait-il alors, "d’entraîner des dizaines de milliers de chômeurs supplémentaires", Nicolas Sarkozy a, en quelques années, changé d’avis. En agissant ainsi, le président a-t-il voulu faire savoir aux Français qu'il tenait les financiers pour responsables de la crise ? La question reste ouverte.

Reste que Nicolas Sarkozy a fait de cette mesure le fer de lance de sa fin de mandat et compte bien "montrer l’exemple" en l’instaurant. Pourtant, une taxe sur les transactions financières similaire - ardemment défendue par le président de la commission des Finances de l’époque, le socialiste Henri Emmanuelli - a déjà été adoptée par le Parlement en 2001 et figure dans le code général des impôts… Elle n’est en revanche jamais entrée en vigueur. Le texte prévoit, en effet, que la mesure ne sera effective qu’à "la date à laquelle les États membres de la Communauté européenne" auront eux aussi intégré dans leur législation interne une taxe similaire, ce qui n’a jamais eu lieu.

Le chef de l’État n’a jamais fait allusion à cette taxe qui existe déjà. Mais il propose d’appliquer un projet de directive de la Commission européenne élaboré en septembre 2011. Projet qui prévoit de taxer 0,1 % sur les achats d’actions et les obligations et 0,01 % sur les produits dérivés. La directive s’appliquerait à partir de 2014 et pourrait rapporter jusqu’à 55 milliards d’euros par an.

Qu’en pensent les autres Etats européens ?

Les chefs d’Etat et de gouvernement de la zone euro semblent agacés face à l'initiative de Nicolas Sarkozy. La chancelière allemande Angela Merkel n’est pas contre le principe de cette taxe mais elle s’oppose à sa mise en application sans consensus européen. "A titre personnel, je dois vous dire que je peux imaginer une telle taxe dans la zone euro", a-t-elle déclaré. Mais "le but [est] d’avoir une déclaration d’intention des ministres des Finances de l’Union européenne d’ici début mars", a-t-elle ajouté.

Une déclaration d’intention des Vingt-Sept qui ne verra sans doute jamais le jour à en croire la réaction du Royaume-Uni, résolument opposé au projet. Dimanche 8 janvier, le Premier ministre britannique David Cameron a réaffirmé son opposition à toute taxe... à moins qu’elle ne soit décidée au niveau mondial.

Rome est plus modéré et se dit prête à travailler à sa mise en place dans l’Union européenne. "Nous sommes disposés à y travailler, mais jamais au grand jamais si elle ne concernait que l’Italie", a toutefois nuancé Mario Monti, le chef du gouvernement.

Qu’en pensent les places financières ?

La présidente du Medef, Laurence Parisot, a estimé dimanche 8 janvier que la mise en place de la taxe Tobin serait un "mauvais coup" porté au financement de l’économie française. Elle a expliqué que si la France était la seule à le mettre en place, cela aboutirait à "une délocalisation massive" des transactions. "Nous serions tous perdants", a-t-elle insisté en expliquant que les investisseurs se tourneraient de facto vers des pays n’appliquant pas la taxe.

Même son de cloche du côté de la banque BNP Paribas et de l’association Paris Europlace, qui défend les intérêts du secteur financier français. Toutes deux mettent en garde contre des fuites massives de capitaux. "Si cette taxe était appliquée seulement en France, elle entraînerait inéluctablement une délocalisation des activités concernées des banques, sociétés d’assurance et sociétés de gestion, au profit des grandes places financières mondiales", insiste l’organisme. "Cette mesure n’a de sens qu'au niveau mondial", a prévenu Baudouin Prot, le président de BNP Paribas.