L'Etat est une entreprise qui rapporte – et pas seulement parce qu’il collecte des impôts. Sa dernière trouvaille consiste à louer son patrimoine immatériel, c'est-à-dire son image. C’est le cas, par exemple, des marques le Louvre ou la Sorbonne qui ont été « louées » à Abou Dhabi. Le Journal de l’Intelligence Economique d’Ali Laïdi a enquêté sur la façon dont l’Etat rentabilise son patrimoine immatériel.
Fontainebleau, à une heure de Paris. Nous sommes au Centre Sportif Equestre et Militaire (CSEM). D’habitude, l’ordre est de rigueur. Mais aujourd’hui, ce site du Ministère de la Défense est en proie à une effervescence peu ordinaire. La raison : le réalisateur Guillaume Canet y tourne son nouveau film, l’histoire du jockey Pierre Durant et de son cheval Jappelou.
Guillaume Canet ne le sait peut-être pas mais en tournant ce film dans cet établissement public, il est en train de valoriser le patrimoine immatériel de l’Etat. Immatériel, parce que c’est la valeur symbolique du lieu qui est mise à sa disposition. Le patrimoine immatériel de la France est estimé à 10 milliards d’euros et il peut donc rapporter gros !
C’est donc conscient de ce potentiel que l’Etat a en 2007 créé une Agence du Patrimoine Immatériel sous l’impulsion de Thierry Breton, alors Ministre de l’Economie et des Finances (de 2005 à 2007). L’objectif : mettre en valeur ce patrimoine invisible – en plus de la valeur symbolique des bâtiments il comprend aussi les marques, les données et les savoir-faire – et en tirer un gain financier. « Eviter que dans un lieu public n’importe qui puisse venir par exemple tourner un film et faire – tant mieux du reste – de l’argent avec cela (...).Il n’y a pas de raison que l’on pille ce patrimoine qui appartient aux Français sans en avoir une juste rémunération. » explique l’ancien Ministre aujourd’hui PDG d’ATOS.
Du coup, l’APIE a mis en place une tarification pour les locations de bâtiments publics. Pour le producteur de Jappelou, le tarif est clair : 3 400 euros par jour. Soit 51 000 euros pour 15 jours d’occupation du CSEM. 60% de cette somme revient au centre militaire, le reste tombe dans les caisses de l’Etat. Car la réquisition n’est évidemment pas sans contrainte pour le chef de corps. Il lui faut redéployer les 100 militaires et les 210 chevaux qui travaillent habituellement ici.
L’intérêt est donc clair : il faut que ces affaires rapportent à l’Etat. Le Capitaine Michaël MOLINIE, Chef du bureau d’accueil des tournages au Ministère de la Défense ne s’en cache d’ailleurs pas. «Si, effectivement il n’y a pas cette démarche d'avoir des recettes financières par rapport à cette mise à disposition je dirais qu'i [le chef de corps]l n'a aucun intérêt à accueillir un tournage. » Et les tarifs sont calqués sur les tarifs de location appliqués dans le privé. Pour André Etancelin, de l’Agence du Patrimoine Immatériel de l’Etat, « Il n'était pas question pour l'Etat de faire du dumping, de proposer un site public à un tarif qui serait 10 fois moins élevé que ce qui se pratique dans le domaine privé. » Et en période de rigueur budgétaire, ces nouvelles ressources sont bienvenues.
En plus des bâtiments publics, l’Etat met depuis peu ses bases de données à disposition des entreprises. NavX est l’une des bénéficiaires. Cette PME francilienne propose aux automobilistes les stations-service les moins chères via son application mobile. L’information sur les prix à la pompe, c’est le Ministère de l’Economie et des Finances qui la fournit chaque jour à la société NavX. En contrepartie, le Ministère encaisse 38000 euros par an.
Pas de chiffre encore sur le petit commerce de l’université de la Sorbonne. Là encore, il s’agit de vendre une marque célèbre. Sur le nouveau site internet www.sorbonne-boutique.fr on peut acheter des cahiers, des sacs, des T-shirts ou des mugs portant le nom « Université de la Sorbonne ». Pour Edouard Husson, Vice-Chancelier des Universités de Paris, il n’était pas question que la Sorbonne soit en reste. « On peut difficilement reprocher à la Sorbonne, à la Chancellerie des universités de Paris de faire ce que font toutes les grandes universités dans le monde. Oxford fait ça, Cambridge fait ça. »
Alors la Sorbonne le fait aussi et va même plus loin. Elle part à la conquête des marchés extérieurs. La Sorbonne Paris IV a ainsi ouvert un campus la Sorbonne à Abu Dhabi aux Emirats Arabes Unis. «C'est une très belle initiative et on peut dire que c'est un autre mouvement qui, c'est celui des grandes universités dans le monde qui ont tendance à vouloir exporter leur savoir-faire dans des zones où il y a aujourd’hui une grande demande en terme de formation et en terme de recherche. C'est pour ça que la Sorbonne Abu Dhabi se retrouve en concurrence avec des universités américaines par exemple. »
Et au nom de cette concurrence mondiale, l’Etat semble de plus en plus se transformer en entreprise.