Le vote en France sur la pénalisation de la négation des génocides a suscité la colère de la Turquie. En réponse, Ankara a annoncé une série de sanctions, qui ne serait que le début des représailles, selon le chercheur Sinan Ulgen.
La rupture est consommée entre Paris et Ankara. La pénalisation de la négation des génocides, notamment arménien, votée jeudi 22 décembre par les députés français, a soulevé un tollé au sein de la classe politique turque, qui a aussitôt organisé la riposte.
Tandis que l’ambassadeur de Turquie à Paris était rappelé pour "consultations", le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, signifiait que les relations politiques économiques et militaires entre les deux pays étaient désormais suspendues.
Conscient de la portée du vote à l’Assemblée nationale, le chef de la diplomatie française, Alain Juppé, a bien tenté, jeudi, de calmer le jeu en indiquant être opposé à cette proposition de loi. Il a d'ailleurs prié ses "amis turcs" de ne pas "surréagir", une requête qui n’a visiblement pas été entendue du côté d’Ankara.
Les relations diplomatiques et économiques sur la sellette
Le chef du gouvernement turc considère que le président français Nicolas Sarkozy a ouvert des "plaies irréparables" en jouant sur "la haine du musulman et du Turc" à des fins électoralistes.
"Il ne faut en aucun cas minimiser la réponse des Turcs, c’est un sujet très émotionnel ici", prévient Sinan Ulgen, ancien diplomate et chercheur au Carnegie Europe à Bruxelles. Contacté par FRANCE 24, il assure que la Turquie "prépare une deuxième vague de représailles politiques et économiques". "Il va y avoir une surenchère à mesure que le projet de la loi va avancer, notamment s’il est adopté au Sénat", assure-t-il.
Il estime notamment qu’Ankara pourrait décider de rompre les relations diplomatiques, au niveau des ambassades, avec Paris, tout en amplifiant la riposte sur le plan économique. "La série de représailles va aller au-delà des cercles politiques, les associations d’hommes d’affaires vont se mobiliser pour organiser un boycott des produits français", prédit-il, rappelant que cela avait déjà été le cas dans les années 90 lorsque l’Italie avait refusé d’extrader le leader kurde Abdullah Ocalan.
Les entreprises françaises pourraient également se voir exclues des appels d’offres publiques en Turquie, "même dans les domaines où elles sont bien positionnées à l’international, comme le nucléaire, les transports ou la distribution du gaz", met en garde Sinan Ulgen.
Préparation d’une loi condamnant le "génocide français en Algérie"
Les relations franco-turques avaient déjà pâti de la reconnaissance officielle du génocide arménien par l’Etat français en 2001. La crise diplomatique qui avait suivi n’avait toutefois pas pesé trop longtemps sur les relations franco-turques, les échanges commerciaux entre les deux pays n’ayant pas été durablement affectés.
Un nouveau coup de semonce avait suivi l’élection de Nicolas Sarkozy, en 2007, quand celui-ci s’était prononcé contre l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne. Là encore, la crise avait pu être surpassée tant bien que mal.
"Mais la Turquie de 2001 et de 2007 n’est pas la Turquie de 2011", avertit Sinan Ulgen. "Le pays est aujourd’hui beaucoup plus confiant, sa réaction va être bien plus sévère pour nuire aux intérêts français, et pas seulement en Turquie, mais également dans toutes les régions sous influence turque."
Suivant l’exemple de Receep Erdogan, qui a accusé la France d’avoir commis "un génocide en Algérie", le Parlement turc préparerait, selon lui, une loi mémorielle visant la France. "Des élus turcs veulent reconnaître officiellement le génocide commis par la France en Algérie pour démontrer le degré de stupidité de ce type de loi".
Sinan Ulgen ne voit pas aujourd’hui ce qui pourrait venir à bout de la tension entre les deux pays, qui, selon lui, va désormais bien au-delà d’un problème relationnel entre le président français et Erdogan. "Même une éventuelle défaite de Nicolas Sarkozy en 2012 ne devrait pas permettre de réchauffer les relations franco-turques, qui resteront au point mort tant que cette loi n’est pas retirée", conclut-il.
it