Les autorités irakiennes entendent fermer d'ici à la fin de cette année le camp d'Achraf où vivent quelque 3 300 opposants iraniens, dont l'avenir demeure incertain. Une décision qui embarrasse la communauté internationale.
La communauté internationale peut-elle éviter une grave crise humanitaire dans le camp irakien d'Achraf qui abrite des réfugiés iraniens devenus indésirables ? Comme le gouvernement irakien l’avait annoncé, le site sera démantelé le 31 décembre 2011 au plus tard. Une décision synonyme de dispersion pour les 3 300 "Achrafiens", qui comptent une majorité de membres de l'Organisation iranienne des Moudjahidines du peuple (OIMP), principal groupe de résistance contre le régime théocratique iranien, honni par Téhéran.
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Traqués et réprimés dans leur pays, ils sont installés dans ce camp situé dans la province de Diyala, à 60 kilomètres au nord de la capitale irakienne, depuis le milieu des années 1980. Une implantation qui a toujours été considérée comme une provocation par Téhéran alors en guerre contre l’Irak (1980-1988). En 2003, après la chute de leur protecteur de l’époque, Saddam Hussein, ils ont été progressivement désarmés par les forces américaines. Lesquelles ont assuré la sécurité du camp de fortune avant d’en céder la responsabilité au pouvoir irakien en 2009. Un pouvoir aux mains de la communauté chiite, plus encline à entretenir de bonnes relations avec ses coreligionnaires iraniens.
Bain de sang
Or, depuis, les habitants du camp sont la cible régulière d'attaques menées par leurs hôtes. La plus récente a eu lieu en avril 2011, lorsqu’une opération de l’armée irakienne a fait 34 morts, selon les Nations unies. "Au vu des précédents dramatiques qui ont eu lieu dans le camp, ses habitants, désarmés, peuvent s’attendre au pire, c'est-à-dire à un nouveau bain de sang, si Bagdad applique sa décision", prévient Afchine Alavi, porte-parole du Conseil national de la résistance iranienne (CNRI), composé essentiellement de membres de l’OIMP. À de nombreuses reprises,
l’ONG Amnesty International a exhorté Bagdad de s'abstenir d'expulser de force les résidents qui risqueraient d'être victimes de graves violations de leurs droits fondamentaux s'ils étaient renvoyés en Iran.
Une inquiétude largement relayée au cours d’une conférence internationale sur le camp d’Achraf organisée, samedi 10 décembre, à Paris, dans le cadre de la Journée internationale des droits humains. À cette occasion, le CNRI, rejoint par d'anciens hauts responsables militaires et politiques américains, dont l'ex-ambassadeur à l'ONU Bill Richardson, et de défenseurs des droits de l'Homme, a appelé à "une action urgente de la communauté internationale" pour intervenir auprès des dirigeants irakiens.
Ces derniers sont accusés de vouloir fermer le camp dans l’unique but de complaire au pouvoir iranien. "Aucun calendrier, aucun intérêt irakien ne justifie la fermeture du camp d’Achraf, souligne Afchine Alavi. Il s’agit plutôt d’une volonté iranienne qui dicte la marche à suivre au Premier ministre, Nouri al-Maliki."
Lettre à Barack Obama
À l’issue de la conférence, un appel au président américain, Barack Obama, a également été lancé par les participants dont l'ancienne sénatrice, candidate à la présidentielle colombienne de 2002 et otage Ingrid Betancourt. "À la veille d'une visite du Premier ministre irakien aux États-Unis [prévue ce lundi 12 décembre], nous vous écrivons pour vous appeler à une intervention immédiate pour empêcher une grave crise humanitaire au camp d'Achraf en Irak", écrivent ces responsables.
Ce n’est pas un hasard si la pression est mise sur Washington. Car les États-Unis ont accordé, au regard des conventions internationales, le statut de "personnes protégées" aux réfugiés d’Achraf tout en maintenant l’inscription du mouvement islamo-marxiste des Moudjahidines sur sa liste des organisations terroristes. À l’instar du Canada et de… l’Iran. Une décision prise par l’administration de Bill Clinton (1992-2000), qui tentait alors de se rapprocher du régime iranien. L’Union européenne (UE) a de son côté retiré l’OIMP de sa "liste noire" en 2009, à la suite de plusieurs décisions de justice. Mais la réputation du mouvement est remise fréquemment en question. Ainsi, selon l’ONG Human Rights Watch, l'OIMP
contrôle le camp irakien d'une main de fer et musèle les résidents qui contestent son autorité. Des accusations rejetées en bloc par le mouvement.
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Afchine Alavi, porte-parole du Conseil national de la résistance iranienne (CNRI)
"Je souhaite que le nom des Moudjahidines du peuple soit retiré de la liste du Département d’État, et j’espère que l’administration Obama agira rapidement contre cette injustice afin que ceci ne puisse servir d’excuse au Premier ministre Al-Maliki", a déclaré à FRANCE 24 Andrew Card, chef de cabinet du président George .W. Bush, entre 2001 et 2006.
"Organisation terroriste", selon Bagdad
Car pour justifier la décision de son gouvernement, le Premier ministre irakien argue en effet que l’OIMP est une organisation "terroriste". Dans u
ne tribune publiée le 6 décembre par le Washington Post, il affirme que "les résidents du camp appartiennent à un mouvement classé comme terroriste par plusieurs pays et que, par conséquent, ils n’ont aucune justification légale pour rester en Irak". Et d’ajouter : "Aucun pays n’accepterait la présence d’insurgés étrangers sur son sol, mais nous allons œuvrer pour trouver une solution pacifique."
Toujours est-il que la question du camp d’Achraf est jugée "préoccupante" par le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, qui a précisément consacré, au début de décembre, une partie de son rapport sur l’Irak au camp d’Achraf. Le patron de l’ONU a notamment insisté sur "la nécessité de trouver d’urgence une solution pacifique et durable" avant la date butoir fixée par Bagdad. Et ce non sans rappeler que "la responsabilité du bien-être et de la sécurité de tous les résidents du camp incombe au premier chef au gouvernement irakien". De son côté, l’UE a exprimé le souhait d’une issue "convenable et satisfaisante" concernant le camp irakien d'Ashraf, tandis que la décision des autorités irakiennes
a été dénoncée par plus d'une centaine de députés européens, qui ont mis en garde contre "un massacre" si Bagdad persiste.