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Le Sud-Liban, caisse de résonance de la crise syrienne ?

, correspondante au Liban – Un message de Damas à destination de Paris ? Une action perpétrée par un groupuscule islamiste ? Une fois encore, l’attaque qui a visé les casques bleus français au Sud-Liban soulève son lot de questions… et d’interprétations.

Depuis son balcon, Ali Hashim a une vue imprenable. Un immeuble en construction, des champs d’orangers et deux petites routes qui se croisent dans la banlieue de Tyr (sud du Liban). C’est là que quelques heures plus tôt, vendredi 9 décembre au matin, une bombe a explosé au passage d’une Jeep de la Force des Nations unies au Liban (Finul). Ali et sa femme, Salam, ont d’abord cru à un bombardement venant d’Israël, à moins de 30 kilomètres de là.

"Cette attaque est vraiment terrible, assure Ali. Ces casques bleus sont là pour nous aider,

pas pour nous tuer. Je ne pensais pas que quelque chose comme ça arriverait près de chez nous."

Six attentats contre la Finul depuis 2006

Ali Mohammed Sati, 19 ans, ne s’attendait pas non plus à ça ce matin-là. Comme chaque jour, il a pris sa moto pour rejoindre son université du quartier de Bourj el-Chemali, dans le sud de Tyr. Un peu avant 10h, son chemin a croisé celui des militaires français. Soufflé par l’explosion, il a été éjecté de sa moto et blessé au dos. La bombe était cachée au bord de la route, au milieu d’ordures.

Son bonnet noir toujours sur la tête, Ali Mohammad Sati grimace dans son lit de l’hôpital libano-italien de la ville. Trois soldats sont postés à l’entrée de sa chambre. "C’est un acte terroriste, dénonce son frère, Mohammad. Et qu’il vise ma mère ou les Français, pour moi, c’est pareil ! Je ne sais pas qui a fait cela… Des gens qui veulent semer le désordre dans le pays."

En plus du jeune homme, cinq militaires français et un autre civil ont été blessés dans l’attentat. Depuis son renforcement après la guerre de 2006, la Finul, forte d’environ 12 000 hommes au Sud-Liban, a été plusieurs fois prise pour cible : en mai dernier, six soldats italiens ont été blessés lors de l’explosion d’une bombe au passage de leur convoi. Le 26 juillet, c’était le tour de cinq militaires français. Ces deux attaques ont eu lieu près de la ville de Saïda, au nord du fleuve Litani, soit à l’extérieur de la zone de la Finul.

À celles-ci s’ajoute une série d’incidents qui a récemment déstabilisé la région du Sud-Liban. Des roquettes ont été tirées fin novembre en direction d’Israël. Peu de temps avant, un magasin d’alcool et l'hôtel Elissa à Tyr avaient été visés par des explosions.

Près d’un mois plus tard, le restaurant de l’hôtel, qui donne sur la mer, n’a pas encore été rénové. Mais le propriétaire a ouvert une nouvelle salle à l’intérieur. L’un des employés, qui refuse de donner son nom, assure n’avoir toujours pas d’explication à cet incident. "On nous a dit que c’était parce qu’on vendait de l’alcool mais je n’y crois pas trop. Ça peut être un règlement de comptes… Mais ça peut être aussi dû au fait que la grande majorité de nos clients sont des soldats de la Finul. En tout cas, je pense que tout ce qui se passe dans la région est lié."

"Le message est clair, ce sont des Syriens"

Aucun des récents attentats contre la Finul n’a été revendiqué et celui de vendredi n’échappe pas à la règle.

Marwan Hamadé, député et membre de la coalition du 14 Mars (opposition), a lui un coupable tout désigné. "Le message est clair, ce sont les Syriens qui sont derrière l'attaque et le postier est le Hezbollah, a-t-il affirmé vendredi. Ils accusent la France d'être le fer de lance de ce qu'ils pensent être un complot extérieur. On sentait que quelque chose allait arriver", ajoute-t-il.

Paris qui a dénoncé, à plusieurs reprises, la répression meurtrière des manifestations en Syrie, a de nouveau répété avec fermeté jeudi que le président Bachar al-Assad “n’échapperait pas à la justice".

May Taleb, qui vit à quelques mètres du lieu de l’explosion et soutient le Hezbollah, ne croit pas à la thèse d’une action téléguidée par Damas : "Il y a eu des attaques contre la Finul bien avant le début de la crise syrienne. Et il y a dans ce quartier de nombreux travailleurs syriens qui auraient pu être tués dans l’explosion."

"Je ne sais pas qui est derrière cet attentat mais ce ne sont sûrement pas des Libanais, ajoute May Taleb. Cette route est très fréquentée. Un Libanais aurait-il pris le risque de tuer sa sœur, sa mère ou son cousin ?"

La piste islamiste

Paul Salem, politologue et directeur du Carnegie Middle East Center à Beyrouth, estime lui aussi peu probable la piste syrienne. "Il est bien sûr très difficile de savoir qui est derrière ces attaques mais le régime syrien est dans une situation telle que je le vois mal dédier du temps et des ressources à monter des opérations contre la Finul", indique-t-il. Les coupables seraient à chercher davantage du côté des groupuscules islamistes à l’image du Fatah al-Islam, qui s’était opposé à l’armée libanaise dans le camp palestinien de Naher el-Bared en 2009.

Début décembre, les Brigades Abdallah Azzam, un groupuscule lié à Al-Qaïda, a démenti être à l’origine de tirs de roquettes contre Israël – une opération que le groupe avait précédemment revendiqué, selon certains médias libanais –, en pointant du doigt le Hezbollah.

"Certains de ces groupes islamistes ont comme objectif affiché de s’attaquer à la Finul", assure Paul Salem. Un avis que partage Timor Goksel, ancien porte-parole de la Finul pour laquelle il a travaillé pendant 24 ans. "Ces attaques sont l’œuvre de groupuscules extrémistes qui essaient de se faire connaître. Attaquer la Finul est pour eux une excellente opportunité !"

La classe politique libanaise a, elle, unanimement condamné cet attentat, Hezbollah en tête. Cet attentat menace "la stabilité et la sécurité" du Liban, a dénoncé le parti d’Hassan Nasrallah dans un communiqué, tout en appelant les forces de sécurité à mettre fin à ces attaques. Un "souhait" qui, selon les observateurs, a peu de chances de se réaliser. "Il y a déjà eu des attaques contre la Finul et il y en aura encore", assure Paul Salem. "Tant que les auteurs de ces actes ne seront pas arrêtés, il faut s’attendre à de nouvelles attaques", renchérit Timor Goksel.