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Pourquoi Poutine ne fait plus rêver les Russes ?

Les accusations de fraudes lors des dernières élections législatives ont attisé la colère d'une partie de la population russe, confirmant une tendance : Vladimir Poutine, au pouvoir depuis 11 ans, est en perte de popularité.

Les accusations de fraudes qui entachent la victoire de Russie unie, le parti du duo Poutine-Medvedev, aux élections législatives ont brouillé la lecture des cartes électorales. Qu’il ait remporté 49,54% des voix, selon les résultats officiels, ou 29,8% des suffrages, comme affirmé par l’ONG "L’observateur citoyen", le Premier ministre Vladimir Poutine a certes remporté les élections législatives mais il semble avoir perdu l'affection d'une partie de son peuple.

Si l’on s’en tient aux résultats officiels, Russie unie a perdu 15 points par rapport au scrutin de 2007 où le parti avait obtenu 64,5% des votes. Ces résultats confirment la baisse de popularité de Poutine, tombée à 61% dans les sondages de novembre, soit 10% de moins que le mois précédent.
Pour la première fois en dix ans, les soupçons de fraudes ont poussé dans la rue plusieurs milliers de manifestants, peu après l’annonce des résultats.  Et malgré les avertissements du Premier ministre, quelque 50 000 personnes ont répondu présent aux appels diffusés sur les réseaux sociaux à manifester samedi 10 décembre dans les rues de Moscou.
L’homme qui a "rendu sa fierté à la Russie"
Après les onze années passées au sommet de l'État en tant que président, puis Premier ministre, Poutine lasserait-il ses compatriotes? Ces derniers seraient-ils devenus intolérants à la corruption ? Allergiques à la répression d’un régime autoritaire ? Les abus de pouvoir ne sont pourtant pas nouveaux en Russie. Lors des élections législatives de 2007, des fraudes avaient déjà été constatées, mais accueillies dans l’indifférence : "En 2007, entre ordre et liberté, les gens optaient à 80% pour l’ordre", analyse Dominique Bromberger, journaliste et auteur de "C’est ça la Russie"*.
"Ceux qui ont voté Poutine sortaient de la misère et du désordre des années Eltsine. C’était une époque où on voyait des vieilles dames vendre des pommes de terre dans la rue. Poutine, en gouvernant la Russie d’une main de fer et en remportant la guerre contre la Tchétchénie [prise de Grozny en 1999, ndlr], a rendu sa fierté à la Russie", continue Bromberger.
Mais l’usure du pouvoir est passée par là et la patience des Russes a été échaudée. Alors qu'il lui suffisait, jadis, de chevaucher un étalon torse nu ou de pêcher des amphores dans la Mer noire pour soulever les applaudissements, aujourd’hui, le Premier ministre déclenche désormais les sifflets : fin novembre, il s’est fait huer par une arène de 20 000 personnes, lors d’un match de boxe. Une première dans sa carrière politique.
La grande désillusion
L’espoir de la "nouvelle donne" suscitée par l’arrivée de Poutine au pouvoir a tourné au goût amer : les privatisations se sont transformées en accaparement des biens nationaux, les inégalités sociales se sont creusées, des fortunes colossales nées sous Eltsine se sont consolidées sous Poutine. Si le PIB russe a décollé, passant de 200 milliards de dollars en 1999 à 1 900 milliards en 2011, les Russes sont confrontés à l’inflation, la corruption ou la collusion entre police et justice au quotidien. S’ajoutent à cela l’autocratie, l’absence d’un Etat de droit, le manque de transparence ou le musellement des libertés d’expression.
"Les Russes en ont assez. La génération dévouée à Poutine commence à se poser des questions. Malgré l’enrichissement du pays, ils se rendent compte que si on n’appartient pas aux apparatchiks ou aux oligarques, on ne profite pas de la croissance. Ils ont cru en lui mais se rendent compte que c’était une imposture", continue Bromberger.
Le divorce avec la classe moyenne
Entre nostalgie communiste et envie de changement, Vladimir Poutine a perdu la confiance des plus modestes, mais surtout de la classe moyenne – passée de 15% de la population en 1990 à 30% en 2010 – sensible à la rhétorique contestataire. 
"Force motrice du pays, de plus en plus nombreuse et de plus en plus active, la classe moyenne n’a pas cru aux slogans ‘pro-modernisation’ du Kremlin. Les plus modestes, eux, se sont résignés à se tourner vers le parti communiste [qui a remporte 25% des voix aux législatives, NDLR], y voyant peut-être le garant d’une plus grande justice sociale", estime le journaliste Hugo Natowicz dans son blog "Impressions de Russie".
La jeunesse a été la première à se lasser de la marque Poutine. Eduquée, ouverte sur le monde, connectée sur la Toile et les réseaux sociaux, elle nourrit de nouveaux espoirs pour son pays. Elle fait circuler des vidéos dénonçant les fraudes électorales sur Internet et descend dans la rue pour faire entendre sa voix.
"On voit en Russie beaucoup de jeunes qui traînent, et sont sous-employés. Ils s’ennuient et se saoulent pour oublier. Ce sont eux qui manifestent", estime Dominique Bromberger. "Il faut vaincre la peur. Dans les universités, il ne faut pas oublier que les étudiants doivent prouver qu’ils ont voté Russie unie pour avoir leurs examens."
La corruption a la dent dure. Les moyens de pression du pouvoir sont illimités. Alors aimé ou pas, il ne fait pas de doute que Vladimir Poutine sera élu à une large majorité le 4 mars prochain, pour un troisième mandat de six ans.
* "C’est ça la Russie", Dominique Bromberger, Actes sud, 2010.