Moins d'un an après le début des soulèvements arabes, l'Algérie semble à l'abri des bouleversements politiques que connaissent les autres pays d’Afrique du Nord - tels l’Égypte, la Tunisie, la Libye et le Maroc. Décryptage.
Alors qu'une vague de révoltes secoue le monde arabe depuis le début de l’année 2011, l'Algérie semble épargnée. Pourtant, les Algériens partagent les mêmes aspirations que leurs voisins - l'Égypte, la Tunisie et le Maroc - qui se sont soulevés pour réclamer plus de démocratie et la fin de la misère sociale (chômage, santé, éducation…).
Abdelhamid Si Afif, président de la commission des affaires étrangères de l'Assemblée populaire nationale et député du Front de libération nationale (FLN, qui fait partie de l’Alliance présidentielle, coalition soutenant le président Abdelaziz Bouteflika et majoritaire au Parlement), estime que les Algériens ont déjà fait leur révolution. "Je ne vois aucune raison valable qui pourrait pousser le peuple à descendre dans la rue. Il pourrait manifester contre le chômage, la corruption et la baisse du pouvoir d’achat, certes, mais pas pour des raisons politiques", développe-t-il.
"Panser les blessures"
Pourtant, plusieurs manifestations "pour le changement démocratique" ont bien eu lieu au début de l'année, à l’appel d’une coalition rassemblant partis politiques et associations de la société civile. À chaque fois très encadrées et neutralisées par un important dispositif policier, elles sont restées sans lendemain.
La résignation de la population algérienne pourrait s’expliquer par d’autres causes, plus profondes, selon Abdallah Djaballah, président du Front pour la justice et le développement (FJD, parti islamiste non autorisé) et ancien candidat à la présidentielle (1999 et 2004). L’Algérie n’a pas connu le printemps arabe car elle "n’a pas fini de panser les blessures de son passé", argumente-t-il.
Même son de cloche du côté de Khelil Abdelmoumen, secrétaire général de la Ligue algérienne des droits de l’Homme. Selon lui, les événements tragiques des années 1990 ont traumatisé les Algériens, qui "réfléchissent à deux fois avant de sortir dans la rue" pour demander un changement de régime.
Pour rappel, en 1988, l’Algérie a adopté une nouvelle constitution à la suite d’une révolte populaire qui a fait 169 morts, selon un bilan officiel. Puis des élections libres ont enfin eu lieu çà la fin de l'année 1991. "Mais elles ont été annulées par l’armée, qui a sonné le glas de la démocratisation", souligne le leader islamiste.
L'arrêt, par les autorités, du processus électoral était motivé par la menace d'un raz-de-marée du Front islamique du salut (FIS, dissous en 1992). Cette décision met le feu aux poudres, provoque une insurrection islamiste et plonge le pays dans une décennie de guerre civile qui a fait plus de 150 000 morts.
Une blessure encore vive qui justifie, pour Khelil Abdelmoumen, que la situation de l’Algérie soit très différente de celles de la Tunisie et de la Libye.
Un régime "virtuellement" démocratique
Toutefois, les récents soulèvements qui ont bouleversé la donne dans les pays du Maghreb n’ont pas été sans conséquences sur Alger. Dans la foulée des révolutions arabes, plusieurs réformes présidentielles, dont de nouvelles lois sur la création des partis, sur les associations et une autre sur l'information, ont été dévoilées par le président Bouteflika, le 15 avril. Elles devront être votées avant les législatives de 2012.
Cependant, ces mesures, prises rapidement dans le but de circonscrire la grogne populaire, visent surtout à consolider le régime en place, selon certains observateurs. "Le pouvoir algérien est très intelligent, car il a inventé un système politique virtuellement démocratique, explique Khelil Abdelmoumen. Mais en réalité, c’est bien lui qui contrôle tout en arrière-plan, en s’appuyant essentiellement sur la manne pétrolière." Et de poursuivre : "Le régime distribue des fonds, sans rendre de compte, à des associations, des partis politiques et des citoyens dans un seul but - celui d'acheter la paix civile et éviter la colère du peuple."
Si selon lui, le régime doit faire partie de l'équation du changement en Algérie pour qu’il se produise sans effusion de sang, "il ne cherche cependant qu’à gagner du temps dans son intérêt". Une lenteur également dénoncé par Abdallah Djaballah, du FJD. Ce dernier accuse les partis de l’Alliance présidentielle d’empêcher l’évolution de la situation. "Ils craignent l'émergence de nouvelles forces politiques qui prendraient leurs places au Parlement, en cas d’élections législatives libres et équitables", note-t-il.
Un immobilisme général qui entretient une forme "d'anxiété" chez les Algériens, tient à préciser Abdallah Jaballah. "Les autorités devraient prendre conscience de cela et ouvrir la voie à un changement démocratique réel. Dans le cas contraire, les gens vont sortir dans la rue pour y exprimer leur désespoir", conclut-il.