logo

Les soldats français, témoins de la fragile stabilité du Sud-Liban

, envoyée spéciale au Sud-Liban – Quelque 1 300 soldats français sont déployés au Sud-Liban dans le cadre de la Finul afin de contrôler la cessation des hostilités avec Israël et d’appuyer l’armée libanaise. Une mission jugée particulièrement "difficile" par le commandement français.

Bouche ouverte et lunettes de soleil sur le nez, le caporal Siméon s’est assoupi. Les autres, hilares, s’apprêtent à en faire autant. Cela fait six heures que la troupe circule au cœur du Sud-Liban à l’arrière d’un VBCI, un véhicule blindé de combat et d’infanterie. Lorsque la pluie s’interrompt quelques instants, le première classe Hoarau et le caporal-chef Tinirau ouvrent les deux trappes du plafond. Dehors défilent vallées rocailleuses, champs d’oliviers, villages modestes et villas cossues.

Ce jour-là, la patrouille a pour objectif de repérer les routes que le VBCI, environ huit mètres de long et 3 mètres de large, peut emprunter dans le secteur de Marjayoun. "Ce véhicule ne passe pas partout dans les villages, explique le caporal-chef Sansse. Il faut repérer les routes appropriées." Depuis mars 2010, le contingent français de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul) forme la Force Commander Reserve (FCR), qui doit être capable d’intervenir en moins de trois heures dans toute la zone contrôlée par les troupes onusiennes.

Plus "difficile" que l’Afghanistan

Comme ces soldats du premier régiment de tirailleurs d’Épinal, 13 000 Casques bleus, dont 1 300 Français, sont déployés au sud du fleuve Litani dans le cadre de la mission de la Finul. Une mission récemment qualifiée de "difficile" par le chef d’état-major des armées françaises : "C’est en Afghanistan que notre engagement est le plus dur, car nous y avons des blessés et des pertes, mais c’est au Liban qu’il est le plus difficile", rapportait le 5 octobre l'amiral Édouard Guillaud devant la commission de la défense nationale de l’Assemblée. Selon lui, les Casques bleus sont fréquemment attaqués par des civils armés qui les délestent de leurs papiers et de leur matériel. Des "provocations" qui mettent "nos soldats sous pression réelle."

À l’arrière du VBCI, le caporal-chef Sansse, qui en est à son troisième engagement dans le pays, semble pourtant serein. "Ce n’est pas la guerre ici mais il faut être préparés, au cas où. On sait par exemple qu’a priori il n’y a pas d’engins explosifs au bord des routes mais on fait quand même attention à tout. On ne peut pas arriver en touriste."

Depuis plusieurs années, la situation au Sud-Liban est jugée stable, même si des incidents viennent parfois troubler ce calme relatif. Dans la nuit du 28 au 29 novembre, des roquettes ont été tirées sur Israël, qui a riposté.

Le colonel Du Gardin, qui dirige la FCR, en est lui à sa cinquième mission au Sud-Liban. Il comprend les propos de l’amiral Guillaud : "Contrairement à l’Afghanistan, les occasions de combats sont ici rarissimes, explique-t-il. Mais si vous employez votre arme, même pour tirer en l’air, les conséquences sont tout à fait autres ! C’est donc une mission compliquée car il faut que la personne qui se trouve sur le terrain ait l’intelligence nécessaire pour réussir à faire baisser la tension lorsqu’elle rencontre un obstacle. Il faut faire preuve de mesure pour éviter une riposte complètement disproportionnée." Et de poursuivre : "En Afghanistan, quand vous êtes pris sous le feu, vous ripostez par le feu. C’est clair, c’est simple."

"Si chacun des 15 000 Casques bleus dépense 10 dollars…"

Faire profil bas, abandonner la "posture de combat" à laquelle les soldats sont habitués, respecter les us et coutumes locaux… Formés à la guerre, les Casques bleus français ont parfois eu du mal à s’adapter à cette mission de maintien de la paix. Au cours des dernières années, divers incidents ont opposé les populations locales aux soldats de la Finul. À l’été 2010, un convoi français a été pris en embuscade à Touline. À la mi-novembre 2011, une altercation a opposé des habitants d’Abbassiyeh à des soldats espagnols qui les empêchaient d’accéder à un champ.

Dans la région, les habitants minimisent toutefois ces incidents, de moins en moins fréquents. Personne ou presque ne souhaite voir les Casques bleus partir, même s’ils ne représentent pas une garantie pour la paix. "Tout le monde sait qu’ils n’utiliseront pas leurs armes", estime Timor Goksel, ancien porte-parole de la Finul pour laquelle il a travaillé pendant 24 ans.

Témoins de ce qui se passe dans le Sud, ces soldats de l’ONU représentent toutefois l’engagement de la communauté internationale aux côtés des Libanais. Ainsi qu’une source non négligeable de revenus et d’emplois... "Il y a environ 15 000 Casques bleus. S’ils dépensent chacun 10 dollars par jour, on parle de 150 000 dollars !" calcule Abou Ali Yihia, qui vend du charbon sur la route de Kafra.

Devant leur boutique située près de Cana, Oum Alaa et son mari, tous deux partisans du Hezbollah, se disent également satisfaits et rassurés par la présence des soldats. Ici une base de l’ONU où s’étaient réfugiés des civils a été bombardée par Israël en 1996, avant un nouveau massacre 10 ans plus tard. "Il n’y a aucun problème entre le Hezbollah et la Finul. Pourquoi y en aurait-il ? Le Hezbollah veut simplement défendre le Sud-Liban face à Israël", assurent-ils.

Les soldats libanais en tête des convois

Selon Timor Goksel, le Hezbollah, qui domine actuellement le gouvernement, a en effet besoin des Casques bleus. "Ils constituent une barrière face à Israël qui ne peut pas faire exactement ce qu’il veut, indique-t-il. Même si le parti chiite n’aime pas que les soldats se mêlent trop de ses affaires…"

"La Finul et le Hezbollah ont des relations cordiales, ajoute Abed Mohsen Hosaini, qui préside l’Union des municipalités de la région de Tyr. Mais on parle de l’aile politique du Hezbollah, pas de l’aile militaire."

Depuis son renforcement en 2006, la Finul a également pour mission d’appuyer le déploiement de l’armée libanaise dans le Sud, d’où elle était jusqu’alors totalement absente. "Le but n’est pas que la Finul reste à demeure au Liban", assure le colonel Du Gardin bien qu’aucun calendrier de retrait n’ait été fixé. Aujourd’hui, plusieurs milliers de soldats libanais sont déployés dans la région où ils effectuent des patrouilles communes avec les Casques bleus. Ce sont d’ailleurs eux qui prennent la tête des convois.

Pour Timor Goksel, ces progrès demeurent toutefois insuffisants. "Nous ne devrions pas avoir encore ses 15 000 Casques bleus au Sud-Liban ! En cas de problème, il sera de toute façon impossible de coordonner les contingents de 33 pays différents. Il est vrai que l’armée libanaise a des problèmes de financement et qu’elle ne peut envoyer tous ses soldats dans le Sud alors qu’elle en a besoin à Beyrouth, dans le Nord et dans la Bekaa. Mais la communauté internationale devrait mettre la pression sur l’État libanais. Elle ne peut pas continuer à dépenser tout cet argent ni à déployer tous ces hommes. Il faut se retirer doucement."