, envoyé spécial au Maroc – Zineb n'était guère destinée à devenir activiste politique au Maroc. Inspirée par le printemps arabe, elle s'est engagée dans les rangs du Mouvement du 20-Février qui appelle au boycottage des législatives de vendredi. Portrait.
Bab al-Had, une des principales places du cœur de Rabat. Zineb Belmkaddem, 27 ans, s'apprête à manifester avec des partisans du Mouvement du 20-Février, un regroupement de jeunes, de radicaux de gauche et d’islamistes qui réclament des réformes politiques et dénoncent la corruption généralisée dans le pays. Depuis l'annonce, au cours du mois de juillet, de la tenue des élections législatives anticipées, ils se donnent rendez-vous à côté des portes d'entrée de la médina de la capitale pour appeler leurs compatriotes à boycotter le scrutin organisé ce vendredi.
"Monarchie parlementaire réelle"
"Je suis dans la rue pour appeler au boycottage d'une élection qui n'a rien d'historique et dont les résultats sont connus d'avance par le pouvoir", déclare Zineb dans un français impeccable. Il ne s'agit pas pour son mouvement de s'opposer par principe au vote, tient-elle à souligner, mais de marquer son opposition au contexte dans lequel le scrutin est organisé. "Les législatives découlent d'une nouvelle Constitution, censée répondre aux attentes de la population, mais qui a été octroyée sans discussions par le palais, dit-elle en ajustant son voile rouge vif. De plus, les urnes vont remettre au pouvoir la même classe politique corrompue. En résumé, rien n'a changé."
À plusieurs reprises, la jeune militante rappelle l'une des plus importantes revendications du Mouvement du 20-Février : l'établissement d'une monarchie parlementaire "réelle", sans laquelle il n'y aura pas de changement. "Pour cela, le roi Mohammed VI doit faire quelques concessions", développe-t-elle en guettant l'arrivée d'autres manifestants.
Interrogée sur les doutes suscités par l'absence de leader au sein du mouvement, Zineb fait la moue. "Je peux comprendre que l'on s'interroge sur ce point, mais cela comporte des avantages et des inconvénients, explique-t-elle. Nous ne pouvons pas avoir de président car nous ne sommes pas un parti, nous sommes tous au même niveau. Le mouvement appartient à quiconque veut nous rejoindre".
"Cet engagement a donné un sens à ma vie"
Elle-même issue d'une famille conservatrice de Rabat et étudiante brillante, Zineb n'était guère destinée à embrasser le destin d'activiste politique. Rentrée au Maroc en 2009, en provenance des États-Unis où elle exerçait le métier de "trader de stocks", elle est désormais coordinatrice d'un projet de pédopsychiatrie au Maroc et professeur d'anglais. "J'ai aussi rejoint les rangs du monde associatif, car j'ai rapidement pris conscience que la politique ne permettrait pas de changer les choses", tient -elle à ajouter.
Le déclic vers un engagement en politique n'interviendra qu'à la faveur du vent nouveau que fait souffler dans la région les révoltes arabes depuis la fin de l'année 2010. "Je n'arrivais pas à en croire mes yeux lorsque j'ai vu les changements que la jeunesse arabe, opprimée par les dictatures de l'Afrique du Nord au Moyen-Orient, a pu déclencher", déclare-t-elle non sans exprimer sa fierté d'appartenir à cette génération. Alors le 20 février dernier, elle décide à son tour de descendre dans la rue avec l'espoir de pouvoir provoquer des changements dans le royaume chérifien. "Cet engagement a donné un sens à ma vie, depuis, je me sens connectée avec le peuple marocain comme je ne l'avais jamais été auparavant."
En termes de connexion justement, Zineb est experte. Appareil photo en bandoulière, iPad et smartphone dans les mains, elle se consacre à informer et publier les informations concernant le Mouvement du 20-Février. "Je 'tweete', je prends des photos et j'explique nos revendications aux gens et aux journalistes, s'enthousiasme-t-elle. Je mets à profit mon niveau d'éducation afin d'exprimer les souffrances de ceux qui n'ont pas la chance de pouvoir le faire, je suis là pour faire entendre leurs voix."
"Rendez-vous le 20 février 2012"
Mais son activisme n'est pas sans risque. Son pire souvenir remonte au 15 mai dernier, lorsque certains de ses compagnons ont été tabassés par les forces de l'ordre lors d'une manifestation organisée à Rabat. "J'ai été moi-même poursuivie en voiture par la police, mais j'ai réussi à la semer", témoigne-t-elle avant d'affirmer que son téléphone est placé sur écoute.
Si elle ne compte pas renoncer à son activité de "citizen-media", et au combat politique initié par son mouvement, certains s'interrogent au Maroc sur l'avenir du 20-Février au lendemain du scrutin. "Les Marocains sont patients de nature, ils ont attendu la réponse du roi, et les promesses de changement, poursuit-elle. Mais ils seront rapidement déçus et viendront grossir nos rangs, car ils ne sont pas dupes". Et de prévenir, avant de rejoindre plusieurs dizaines de ses camarades : "le Maroc n'est pas à l'abri d'une révolte populaire si les promesses ne sont pas tenues, je donne dès à présent rendez-vous aux mécontents, le 20 février 2012."