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Les diplômés étrangers se mobilisent contre la "circulaire Guéant"

Suite à une circulaire signée par le ministre de l'Intérieur Claude Guéant (photo) et parue le 31 mai, de nombreux étrangers diplômés en France ont vu récemment leurs demandes de permis de travail rejetées. Décryptage.

Nizar, un Algérien âgé de 25 ans, est titulaire d’une maîtrise de l'ESPCI ParisTech, une prestigieuse école française d'ingénieurs, qui lui a permis d’être embauché à Altran, un important cabinet de conseil en hautes technologies.

Mais il a rapidement déchanté lorsqu’il a sollicité un permis de travail. En effet, en plus du refus des autorités concernées de lui accorder le précieux sésame, il lui a été demandé de quitter le territoire français. Raison invoquée : il y a actuellement trop de candidats sur le marché du travail pour le type d'emploi qui lui a été offert, et pas assez de postes disponibles.

"Cette mésaventure a complètement changé l’image que j’avais de la France, explique Nizar à FRANCE 24, je me sens comme si on m’avait traîné dans la boue".

Son cas est représentatif de la situation de nombreux jeunes étrangers diplômés en France dont les demandes de permis de travail ont été rejetées et qui ont été priés de rentrer chez eux. À l’origine du durcissement de la loi : une circulaire du 31 mai 2011 signée par le ministre de l’Intérieur qui restreint la possibilité des étudiants étrangers, hors Union européenne, de travailler sur le territoire après leur formation en France.

Un nouveau règlement qui a déclenché une vague de protestations orchestrées par d’actuels et anciens étudiants étrangers. Ces derniers soutiennent que la "circulaire du 31 mai" est contraire aux valeurs françaises et prive la France d'une force de travail hautement qualifiée. Ils demandent le retrait pur et simple du texte.

"Un message négatif"

La circulaire décriée relève que, "compte tenu de l'impact sur l'emploi de l'une des crises économiques les plus sévères de l'histoire (…), la priorité doit être donnée à l'insertion professionnelle des demandeurs d'emploi aujourd'hui présents, qu'ils soient de nationalité française ou étrangère, résidant régulièrement en France".

En conséquence, les demandes de permis de travail émanant de diplômés étrangers ont été examinées "avec beaucoup plus de rigueur", explique maître Stéphane Halimi, avocat spécialisé en droit de l'immigration. Il confirme qu’il est beaucoup plus difficile pour un étudiant étranger titulaire d’un diplôme français d’obtenir un permis de travail. "Auparavant le cas de ces diplômés était traité avec une certaine bienveillance par les autorités", souligne-t-il.

Selon Nabil Sebti, un jeune diplômé de HEC Paris, la célèbre école de commerce, ces refus sont un "traitement indigne des étudiants étrangers, étant donné les valeurs d'un pays démocratique comme la France". Ce Marocain âgé de 25 ans est le porte-parole du Collectif du 31 Mai, une association à l’origine des appels à manifester contre la circulaire.

Ce dernier explique à FRANCE 24 que les demandes des diplômés étrangers sont souvent refusées pour des "raisons aberrantes". Pour corroborer cette affirmation, il donne l'exemple d'une Tunisienne à qui l’on a expliqué que l’emploi dans le secteur du marketing qui lui a été proposé n'était pas cohérent avec son diplôme de… marketing.

Il affirme par ailleurs que les demandes de permis de travail sont parfois mises en attente pendant des mois, tandis que certains demandeurs sont empêchés de déposer leur requête. "Les Nord-Africains sont particulièrement touchés par la 'circulaire du 31 mai', note Nabil Sebti, car ils représentent une forte proportion d'étudiants étrangers dans le pays".

La France est à ce jour, dans le monde, le quatrième pays d'accueil des étudiants étrangers, après les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Australie. Mais, selon Nabil Sebti, l’Hexagone risque de perdre sa place au classement à cause du texte de Claude Guéant. "La circulaire a un impact sur la compétitivité et l'attractivité de l'enseignement supérieur en France. Il envoie un message négatif aux étudiants étrangers", explique-t-il.

Cette préoccupation a également été exprimée par la Conférence des grandes écoles (CGE), une association d'établissements d'enseignement supérieur français reconnus par l'État, qui a demandé des explications au ministère de l'Intérieur.

"C'est néfaste pour la réputation culturelle et scientifique de la France dans le monde", dénonce encore Nabil Sebti, soulignant que plusieurs articles sur le sujet ont été publiés dans la presse internationale, y compris le New York Times.

Motivation économique ou stratégie électorale?

En outre, le Collectif du 31-Mai a fait valoir que ces nouvelles règles auront un effet nocif sur une économie française déjà en difficulté. "Les entreprises françaises emploient des étrangers qualifiés afin de s’ouvrir sur les marchés étrangers. Ils ont besoin de personnes qui parlent la langue de ces marchés et qui connaissent les codes et la culture", argumente Nabil Sebti. Et d’ajouter : "C’est cette valeur ajoutée qui est menacée par la circulaire Guéant".

De son côté, le ministère de l'Intérieur persiste et signe. Claude Guéant a récemment estimé que les étudiants étrangers "viennent en France pour étudier" et "non pas pour détourner leur statut et arriver sur le marché du travail".

Si le premier objectif de la circulaire est de combattre le chômage en France (en libérant des emplois précédemment ouverts aux étrangers), les diplômés étrangers comme Nabil Sebti restent sceptiques. "Franchement, la plupart des chômeurs en France ne sont pas qualifiés pour les postes qui concernent les diplômés étrangers", explique-t-il.

À l’instar d’autres critiques de la circulaire, il pense que cette décision fait partie d’une stratégie électorale élaborée par le président Nicolas Sarkozy, à quelques mois de la présidentielle de 2012. "Cette manœuvre est un appel du pied aux électeurs du Front national et aux chômeurs qui pensent que ce nouveau système va les aider".

En attendant, les étudiants étrangers dont les demandes de permis de travail ont été refusées se trouvent confrontés à un choix simple : contester la décision des autorités ou quitter la France. Nizar, quant à lui, a engagé un avocat pour obtenir gain de cause, et ce avec le soutien d'Altran, la société qui lui avait proposé un contrat.

"Mais je ne suis pas optimiste, confie-t-il. Je suis en train de postuler à des emplois au Canada, tout en sachant que je pourrais finir par rentrer en Algérie".