Silvio Berlusconi a démissionné : une nouvelle accueillie par des tonnerres d'applaudissements à Rome. Célèbre pour ses impairs et scandales, le "Cavaliere" demeure le président du Conseil présent le plus longtemps à son poste. Portrait.
Le Cavaliere aura finalement été emporté par la crise de la zone euro. Après avoir survécu à un vote sanction le 8 novembre, Silvio Berlusconi a remis sa démission au président Giorgio Napolitano samedi soir, au palais Quirinal, après l’adoption définitive de la nouvelle loi de finance par la Chambre des députés et le Sénat.
La crise de la zone euro a précipité la chute de l’homme de Milan, longtemps considéré comme un insubmersible de la politique transalpine. Son manque de crédibilité internationale est apparu au grand jour lors d’une récente conférence de presse au cours de laquelle Nicolas Sarkozy et Angela Merkel ont échangé un sourire empreint de sous-entendus à l’évocation d’un énième plan d’austérité du gouvernement italien.
Face à la pression croissante des marchés financiers, ce sont finalement les alliés politiques de Berlusconi qui ont pris les devants. Objectif des frondeurs : évincer l’embarrassant Cavaliere pour mettre sur pied un gouvernement de centre-droit capable de reconquérir la confiance de ses partenaires européens. Objectif atteint.
En poussant Berlusconi vers la sortie, la crise de la zone euro a réussi là où des dizaines de juges italiens ont échoué. En presque dix ans au pouvoir – une longévité politique inédite sous la République italienne -, jamais dirigeant européen n’aura esquivé autant de flèches judiciaires. Pour Silvio Berlusconi, corruption rime souvent avec prescription, blanchiment d’argent avec acquittement. Et faux témoignage sans doute avec "amnistie"…
Le roi de la ‘combinazione’
L’ancien président du Conseil s’est toujours présenté comme un self-made man à l’italienne. À la veille des élections législatives de 2001, il fait distribuer gratuitement à 12 millions de foyers italiens un roman-photo de 128 pages retraçant sa marche vers le pouvoir, sous le modeste titre de "Una Storia Italiana". Un conte italien aseptisé, où l'on retrouve un jeune Silvio gravissant les échelons à la sueur de son front, vendant des aspirateurs ou poussant la chansonnette durant des croisières.
La montée en puissance de Berlusconi, c’est le triomphe de la "combinazione" : cette manière de se jouer des règles et d’improviser des solutions à la légalité douteuse. L’origine des capitaux de sa première société de construction, "Les Chantiers réunis milanais", reste d’ailleurs opaque jusqu’à ce jour. Sa fulgurante ascension économique s’appuie ensuite sur le BTP et le contrôle de chaînes de télévision privées – une association fructueuse bien connue de ce côté-ci des Alpes.
Irruption du Cavaliere sur la scène politique
Berlusconi est aussi doté d’un sens inné de l’opportunisme. Il profite ainsi du laminage du Parti socialiste et de la Démocratie chrétienne, grâce à l’opération anti-corruption "Mains propres" dans les années 1990, pour lancer son propre parti, Forza Italia et remporter les élections d’avril 1994. Il se hisse alors à la tête du gouvernement en s’alliant avec la Ligue du Nord, un parti connu pour ses positions xénophobes.
Lorsque que son gouvernement chute, déjà victime du retrait des populistes de la Ligue du Nord, il est Premier ministre depuis seulement sept mois. Mais ce court laps de temps lui suffit pour instaurer la loi Tremonti sur les investissements et renflouer les caisses de son groupe de médias Mediaset.
Cette propension à utiliser la puissance publique pour faire fructifier ses intérêts privés deviendra la marque de fabrique du Cavaliere, qui reconquiert le poste de chef du gouvernement en 2001. L’homme qui a fait main basse sur l’Italie à coups de "combinazione" imprime son style populiste et donne à la péninsule son gouvernement le plus stable depuis la Deuxième Guerre mondiale. Battu à l’issue d’élections très serrées en 2006, le Cavaliere revient à la tête du gouvernement après un vote anticipé en 2008.
"Bunga Bunga" et rigueur budgétaire
Alors que les nuages s’amoncellent sur l’économie mondiale, un paparazzo immortalise Silvio Berlusconi en train de bronzer en compagnie de donzelles aux seins nus dans le jardin de sa villa en Sardaigne. Ces photos sulfureuses, publiées en juin 2009, viennent alimenter la presse people.
Les paparazzis se surpassent et les révélations sur les frasques sexuelles du Cavaliere se succèdent presque sans temps mort. Implants capillaires, bronzage marqué, teinture de cheveux, visage lifté et sourire éclatant : à 70 ans passés, Silvio Berlusconi, fraîchement divorcé, s’efforce de jouer le tombeur de nymphettes attirées par les lumières du show-business. Quitte à faire appel à des call-girls mineures pour animer ses légendaires soirées "Bunga Bunga".
Ces frasques ont eu raison de la patience des Italiens. Le Cavaliere apparaît plus que jamais en décalage en ces temps de rigueur budgétaire. Tourné en dérision par ses partenaires européens, trahi par ses alliés parlementaires et rejeté par son peuple, Berlusconi démissionne à 75 ans, sous les huées de ses opposants qui célèbrent son départ dans les rues de Rome. Mais ce fin stratège ne quitte pas pour autant la vie politique : si la redistribution des cartes joue en sa faveur, il n’est pas impossible qu’il se présente à l'élection présidentielle de 2013. "L’insubmersible transalpin " n’a peut-être pas encore dit son dernier mot.