logo

Élection du 23 octobre : les progressistes redoutent des alliances contre-nature

Dans moins de deux semaines, les Tunisiens se rendront aux urnes pour élire l’Assemblée constituante. Alors que se dessinent des alliances politiques, le progressiste de centre-gauche Ben Jaafar (photo) laisse planer le doute sur ses intentions.

À moins de deux semaines de la première élection libre de Tunisie, une rumeur court dans les rues de Tunis. Une alliance contre-nature aurait été scellée entre le parti islamiste Ennahda, crédité de la majorité des intentions de vote selon un récent sondage, et le parti de centre-gauche du Forum démocratique pour le travail et les libertés (FDTL - aussi connu sous le nom d’Ettakatol), présenté comme la troisième force du scrutin du 23 octobre, qui doit déboucher sur la formation d’une Assemblée constituante. Un article paru en septembre dans le journal indépendant Essabah suggère en effet que le n°1 du FDTL, Moustapha Ben Jaafar, aurait accepté de soutenir le projet d’Ennahda, en échange de la présidence de la République. 

Risque d’un régime idéologique 

Intentions de vote à l'élection du 23 octobre

Ennahda : 25%

PDP : 16%

FDTL : 14%

CPR (Congrès pour la République, parti de centre gauche allié à Ennahda): 8%

Afek Tounes : 3%

PDM : 2%

Autres partis (106 autres formations participent à l'élection) : 32%

Sondage réalisé en septembre par l'Observatoire tunisien de la transition démocratique.

Pour consulter le détail du sondage, cliquez ici.

Si elle se confirme, cette alliance potentielle entre le FDTL et Ennahda permettrait aux islamistes de poser leur griffe sur la composition du gouvernement intérimaire, issu du vote, et sur le projet de nouvelle constitution. Or, selon le Parti démocratique progressiste (PDP), le système parlementaire proposé par Ennahda comporte le risque d’une dérive du régime en un système idéologique ultra conservateur, à l’extrême opposé des velléités démocratiques qui ont abouti à la chute de Ben Ali, en janvier dernier. Il pourrait, en outre, donner lieu à des blocages institutionnels majeurs. 

"Le parlementarisme proposé par Ennahda est illusoire et dangereux, renchérit Samy Ghorbal, conseiller politique de la figure de proue du PDP, Ahmed Nejib Chebbi, sur le site tunisien Leaders.com.tn. Il nous laisse le choix entre la peste et le choléra. La peste : l’hégémonie d’un parti ou d’une faction sur les institutions de la République, avec le risque subséquent que le gouvernement se transforme en un gouvernement idéologique. Le choléra : la paralysie des institutions […]." 

Une coalition progressiste se dessine 

Pour éviter un tel scénario, le PDP milite pour une coalition démocratique regroupant tous les partis progressistes. "Ce qui nous rassemble est plus important que ce qui nous sépare, poursuit Samy Ghorbal. Il est temps de dépasser nos querelles futiles et les malentendus du passé. Nous n’avons pas le droit de rater le rendez-vous du 23 octobre". 

Cette main tendue est aussi une façon de forcer Ben Jaafar à sortir du bois. "Nous attendons du FDTL, comme de toutes les formations centristes, démocrates et progressistes, qu’il dissipe toute forme d’ambigüité et qu'il se positionne clairement par rapport à Ennahda", déclare Iyed Dahmani, tête de liste du PDP dans la circonscription de Siliana (nord du pays). 

Peine perdue pour l’instant : même si deux autres formations progressistes, Afek Tounès et le Pôle démocratique moderniste (PDM), ont répondu à l’appel du PDP lancé le 7 octobre, le FDTL y est resté sourd. Un silence qui n’a évidemment pas contribué à lever les soupçons d’alliance avec le parti islamiste et à apaiser les esprits... 

Pour Vincent Geisser, politologue et chercheur à l'Institut de recherches et d'études sur le monde arabe et musulman, cette stratégie n’a toutefois rien d’étonnant. "Le FDTL compte garder une certaine indépendance vis-à-vis du bloc progressiste, affirme-t-il. Ces derniers mois, le FDTL a pris conscience de sa propre identité politique, indépendante de tout phénomène d’alliances. Il a finalement trouvé sa place dans le paysage politique tunisien et ne compte pas la laisser."

Une alliance peu probable selon des experts 

Pour le chercheur, l’hypothèse d’une alliance entre le FDTL et Ennahda est tout bonnement inenvisageable. "Je n’y crois pas un seul instant. Ben Jaafar est certes un homme de consensus qui n’a jamais été hostile aux partis islamistes, mais ce n’est pas pour ça qu’il adhère aux idées conservatrices d’Ennahda, bien au contraire, estime-t-il. Le FDTL est lié à l’internationale socialiste et aux partis socialistes européens, français et espagnol. Allié aux islamistes, il perdrait son siège à l’Internationale socialiste ainsi qu'une bonne partie de ses militants, ce qui n’est pas du tout dans son intérêt". 

Même son de cloche du côté du Parti socialiste (PS) français, où l’on affirme entretenir "une relation particulière avec le parti de Ben Jaafar". "Pour moi, cette rumeur est infondée, déclare vivement Pouria Amirshahi, le "Monsieur Tunisie" du PS. Cela fait partie d’une tactique pré-électorale, d’une tentative de donner une image tronquée d’un Ben Jaafar en pleine ascension. Il a pris le parti de ne pas s’attaquer frontalement à Ennahda. Il rejette tout ce qui peut être interprété comme une tentative de confrontation entre blocs progressiste et islamiste, car ce serait propice à un climat très tendu et potentiellement dangereux pour la Tunisie." 

Il est vrai qu’au regard du parcours de Moustapha Ben Jaafar, professeur de médecine, il semble bien difficile de croire que le patron du FDTL puisse renier les idées progressistes sur lesquelles il a construit sa carrière politique. Opposant notoire au régime de Ben Ali et farouche défenseur des droits de l’Homme, il a fondé, en 1994, un parti dont le poids est désormais majeur. Et passe pour un homme de consensus respecté par les islamistes, les libéraux, les courants de gauche ainsi que les syndicats.

Reste une question : pourquoi Moustapha Ben Jaafar laisse-t-il planer le doute sur ses intentions ? Contacté par France 24, l’intéressé n’a pas donné suite à nos sollicitations.