
L’impossibilité de filmer en Iran sort sur les écrans français. Le dernier film de Jafar Panahi et de Mojtaba Mirtahmasb, "Ceci n’est pas un film", est d’une actualité brûlante : les cinéastes attendent que leur sort soit scellé par la justice.
La sortie du long-métrage "Ceci n’est pas un film", co-réalisé par les Iraniens Jafar Panahi et Mojtaba Mirtahmasb, ce mercredi, tient lieu de douloureuse piqûre de rappel : dans l’Iran d’aujourd’hui, il est quasi impossible d’être un réalisateur indépendant et libre de ses mouvements - sauf à avoir la prison ou l’exil pour objectif. Pourtant, les deux hommes, le premier en résidence surveillée, le second en prison, n’envisagent pas un instant de baisser leurs caméras. "Les merveilleuses possibilités du cinéma d’aujourd’hui ne laissent aucune excuse aux cinéastes sans production", déclarent-ils conjointement dans le texte remis à la presse pour la sortie du film. "Une désagréable réalité s’est imposée au cinéma et aux cinéastes iraniens aujourd’hui ; cette réalité, toute passagère qu’elle soit, nous contraint de la regarder en face et d'essayer de dépeindre son impact sur nos propres existences."
La "désagréable réalité" est un euphémisme pour parler de la résidence surveillée à laquelle est assigné le cinéaste Jafar Panahi, en attendant une décision de justice. En mars 2010, il a été arrêté par la police, de même que son confrère Mohammad Rasoulof, et condamné, en décembre 2010, à six ans de prison assorti d’une interdiction de filmer pendant vingt ans. Panahi attend aujourd’hui le résultat de son recours en appel. Son crime ? Avoir "préparé un film contre le régime".
Section 209 de la prison Evin à Téhéran
A l’époque du tournage de "Ceci n’est pas un film", Mojtaba Mirtahmasb n’avait pas été nommément inquiété par le régime iranien. Ses ennuis avec le système judiciaire sont récents : le co-réalisateur de "Ceci n’est un film" a été arrêté à l’aéroport international de Téhéran le dimanche 18 septembre, alors qu’il s’apprêtait à se rendre en France pour la promotion du long-métrage. Officiellement, il est inculpé d’espionnage pour le compte de la chaîne britannique BBC. Six autres personnes sont également accusées du même délit : avoir reçu de la BBC de l’argent en échange de renseignements, une pratique que la chaîne réfute. En clair, le régime reproche aux cinéastes d’avoir vendus des documentaires au programme farsi de la chaîne britannique et de véhiculer ainsi une image négative de l'Iran. Mi-septembre, la BBC farsi a ainsi programmé un documentaire de Mojtaba Mirtahmasb, "Off Beat", sur la situation des musiciens iraniens, obligés de se terrer pour jouer.
"Les dernières nouvelles de ce week-end sont très amères", explique Abbas Bakhtiari, fondateur du centre culturel Pouya à Paris. Cet artiste iranien est en lien quotidien avec la communauté de cinéastes en Iran et diffuse des informations les concernant auprès des médias et institutions français, telle la Cinémathèque française. "Les six cinéastes sont officiellement accusés d’espionnage et risquent une lourde peine de prison. Leurs familles ne peuvent pas leur rendre visite. Ils se trouvent aujourd’hui à la section 209 de la prison Evin à Téhéran, en attendant leur procès."
"Le gouvernement iranien cherche à supprimer le cinéma indépendant", s’inquiète Abbas Bakhtiari. "Les médias du gouvernement ont annoncé ce week-end que la maison du cinéma n’aura plus de reconnaissance officielle, parce qu’elle est considérée comme un parti politique en contact avec l’étranger. Or la maison du cinéma, cela représente 5 500 personnes : des cinéastes, des producteurs, des acteurs, des directeurs de la photographie… Le cinéma indépendant montre la réalité de l’Iran, et cela est une trop grande menace pour le régime."
"Nous préférons être des hommes libres que des héros emprisonnés"
Dans ce contexte politique pesant, “Ceci n’est pas un film”, qui avait déjà été présenté en avant-première au dernier Festival de Cannes, est une œuvre remarquablement légère. Cri de survie et sursaut de créativité devant la répression, cet auto-portrait de Jafar Panahi donne l’occasion au réalisateur de faire une démonstration d’humour et d’autodérision. Le cinéaste est filmé chez lui, dans l’impossibilité de réaliser le long-métrage qu’il a en tête, sous le coup d’une assignation à résidence et dans la crainte d’une interdiction formelle d’exercer son métier. "Je voulais au départ faire un documentaire sur tous les réalisateurs iraniens qui sont frappés par l’interdiction d’exercer. Je voulais passer un jour avec chacun d’eux pour expliquer concrètement l’impact que cela avait sur leur vie professionnelle, explique Mojtaba Mirtahmasb. A travers le cas de Jafar Panahi, se cristallisaient tous les problèmes que nous avions vécus ces dernières années. Tout ce qui lui arrive est emblématique de notre situation"
Le film commence par une séquence en plan fixe, laissant la caméra capter les mouvements quotidiens de Panahi : son petit-déjeuner, ses coups de fil à son avocat, ses conversations avec ses voisins, son iguane qu’il faut nourrir… Le ton s’assombrit ensuite et prend des accents confessionnels : son ami et confrère Mojtaba Mirtahmasb lui rend visite. Panahi laisse alors une once de désespoir s’insinuer dans son discours, alors qu’il lui parle de ses conditions actuelles de travail et les met en regard de ses réalisations passées - son film le plus connu reste à ce jour "le Cercle", un drame néo réaliste sur des femmes sortant de prison, qui a remporté le Lion d’Or à Venise en 2000.
Sa colère grandit à mesure qu’il est acculé, faute d’acteurs et de décors, à jouer lui-même, dans son salon, des scènes du scénario qu’il avait prévu pour son prochain film - une jeune femme enfermée par des parents fondamentalistes - et dont le script est d’ores et déjà rejeté par les autorités iraniennes. Panahi finit par s’écrier : "Mais si nous pouvions raconter un film, pourquoi faire des films ?"
Dans les notes qu’il a rédigées pour la presse, en amont de la sortie du film, Mojtaba Mirtahmasb résume ainsi le sentiment de frustration des deux réalisateurs : “Nous préférons être des hommes libres que des héros emprisonnés. Nous ne sommes pas des combattants politiques. Nous sommes des réalisateurs.”
“Ceci n’est pas un film” n’est pas seulement un acte de défi aux autorités, c’est une œuvre cinématographique, rythmée de tension et de rire amer. Comme Mirtahmasb le déclare durant le film : "Ce qui compte, c’est que tout ceci soit enregistré et documenté. Que la caméra reste allumée."