La Kényane Wangari Muta Maathai, lauréate du prix Nobel de la Paix en 2004, est morte des suites d’un cancer. Retour sur le parcours d’une militante combattive et d’une femme insoumise.
Wangari Muta Maathai, première femme africaine lauréate du prix Nobel de la Paix, est morte à 71 ans des suites d’un cancer, dimanche dans un hôpital de Nairobi. Insoumise et combative, la militante écologiste kenyane a consacré sa vie à la sauvegarde des forêts d’Afrique et à la démocratisation de son pays.
"Dans mon ethnie, la révolte est naturelle. Je ne suis qu’une Kikuyu typique dans le fond", déclarait-elle au "Monde" en 2001, comme pour justifier la ténacité des combats de l’association Green Belt Movement ("Ceinture verte" en français) qu’elle a créée en 1977 pour lutter contre la déforestation.
Née en 1940 dans une famille de paysans pauvres de l’ethnie kikuyu, dans la région de Nyeri, à 150 kilomètres au nord de Nairobi, la jeune Wangari, d’une rare intelligence, est très rapidement repérée par ses professeurs, des sœurs catholiques. Avec leur aide, elle décroche une bourse d’études pour les Etats-Unis. Elle part pour le Kansas à la fin des années 1950 pour y étudier la biologie.
Marquée par les révoltes des Noirs américains
Aux États-Unis, le contexte social est explosif. L’étudiante kényane assiste, subjuguée, aux révoltes des Noirs américains contre les discriminations raciales. "Une véritable révélation", assure-t-elle plus tard dans son autobiographie "Insoumise : l’histoire d’une femme", publié en 2006.
Elle rentre au Kenya en 1966. L’indépendance y a été proclamée trois ans plus tôt. La jeune femme est nommée professeure à l’université de Nairobi. Elle est la première femme noire de son pays à décrocher un tel poste et à y passer un doctorat.
Cependant, sa brillante carrière universitaire s’arrête net après le scandale de son divorce. Son mari, jeune homme promis à un bel avenir politique, la traîne devant les tribunaux après avoir appris sa liaison avec l’un des anciens chefs de l’insurrection Mau Mau, rébellion anti-colonialiste.
Elle est virée de l’université où elle s’était déjà forgé une solide réputation à force de confrontations avec la direction. "Comme je n’avais plus rien de spécial à faire, je me suis intéressée aux femmes, puis à l’environnement. Après tout, je suis scientifique à la base. Alors j’ai créé Green Belt", raconte-t-elle aux journalistes du "Monde" en 2001, avec le franc-parler qui la caractérise.
La démocratie par l’environnement
Avec Green Belt, elle veut "promouvoir le respect des droits de l’Homme, la bonne gouvernance et la démocratie", à travers la protection de l’environnement. À sa création, l’ONG n’employait que des femmes, occupées à replanter des arbres dans les forêts dévastées. Depuis, des hommes sont venus grossir les rangs. Sur son site internet, l’ONG se targue d’avoir replanté 40 millions d’arbres depuis sa création.
Son combat, Wangari Maathai le mène avec acharnement. Quitte à subir la répression policière et les geôles kényanes. À la fin des années 1990, elle s’oppose à la construction d’une tour de soixante étages au beau milieu d’un parc forestier, le "parc de la résistance" à Nairobi, un projet mené par le très autoritaire président d’alors, Daniel Arap Moi. Wangari parvient à convaincre les bailleurs internationaux de retirer les subventions accordées au projet. Elle le paiera cher : craignant pour sa vie après la violente évacuation des locaux de son association à Nairobi, elle se réfugie en Tanzanie.
Elle revient à la charge peu après en se joignant à une contestation de mères de détenus politiques au Kenya. La manifestation est férocement réprimée. La contestation gagne tout le pays, le Kenya menace de s’enflammer. Finalement, les autorités décident de lâcher du lest et autorisent les partis politiques d’opposition, réduits au silence par des années d’oppression.
Consécration à Oslo
Wangari Maathai s’essaye alors pendant quelques années à la politique. Sans succès. Elle retourne alors à sa première passion : l’écologie. Avec la même hargne, la même énergie et le même humour, elle lutte contre la déforestation. Il lui en vaudra un séjour à l’hôpital après un passage à tabac. Les étudiants de la capitale, choqués par la violence de la réaction policière, se soulèvent. Trois jours d’émeute suivent. Wangari Maathai jubile : la révolte est dans ses veines.
Peu à peu, année après année, le Kenya s’apaise et finit même par réussir une transition démocratique à laquelle peu d’observateurs croyaient. Dans le gouvernement formé après le départ de Daniel Arap Moi par Mwai Kibaki en 2002, Wangari Maathai est nommée secrétaire d’État à l’Environnement, poste qu’elle occupe jusqu’en 2005. Le Nobel de la paix lui est attribué en 2004.
Le jury d’Oslo salue son combat en ces termes : "La paix sur la Terre dépend de notre capacité à protéger notre environnement." Une consécration pour cette guerrière militante. À la "Libre Belgique", en décembre 2004, elle répète la portée humaine de son combat : "La paix, ce n’est pas seulement l’absence de guerre et de coups de fusils. Il peut aussi y avoir des guerres silencieuses quand on élimine des espèces vivantes de la planète, quand on empêche aux gens de vivre dignement. Ce sont les guerres de demain."