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Dexia, ennemi public numéro 1 des communes françaises ?

Selon le quotidien français "Libération", la banque Dexia a mis en difficulté plus de 5 000 communes françaises en leur faisant signer des prêts toxiques. Dans certaines collectivités cependant, le constat est plus nuancé.

“Dexia : la banque qui a ruiné 5 000 communes”. Sous ce titre provocateur, le quotidien français "Libération" a publié, ce mercredi, une enquête sur les pratiques de la banque franco-belge Dexia, connue pour être l’un des principaux bailleurs de fonds des collectivités locales françaises.

Le journal de la rue Béranger, à Paris, a pu avoir accès à un document interne de la banque datant de 2009, qui recense les 5 500 communes et établissements publics français ayant souscrit à des prêts “toxiques”. Dans les années 2000, la banque a, en effet, massivement proposé à ses clients des emprunts dits "structurés" dont les taux d’intérêts évoluent selon un indice de référence, comme un taux de change ou les taux directeurs des banques centrales.

Mais avec la crise financière, ces prêts qui, à l’origine, avaient tout d'une bonne affaire pour les collectivités locales, se sont révélés être un gouffre financier. Les taux ont explosé et, “selon l’estimation faite par Dexia en 2009, le surcoût de ces emprunts était évalué à 3,9 milliards d’euros”, écrit "Libération". Conséquence : les souscripteurs étaient parfois censés rembourser jusqu’à deux fois la somme qu’ils avaient empruntée…

Si le tableau d’ensemble apparaît très sombre, il ne rend toutefois pas forcément compte de toutes les situations sur le terrain. France 24 a donc contacté des responsables de quatre communes pour qu'ils racontent leurs déboires. 

Megève (Haute-Savoie)
Emprunts souscrits : 3 835 000 euros
Surcoût estimé: 3 042 000 euros

Lorsque Sylviane Grosset-Janin est élue maire (divers droite) de Megève en 2008, elle découvre, dans le budget de la Ville, un prêt souscrit l'année précédente. D’une valeur de 3 835 000 euros, il est remboursable sur 40 ans et indexé sur le taux de change entre l’euro et le franc suisse. “Personne ne pouvait se douter, à l’époque, que le rapport entre les deux monnaies, qui semblait stable, allait tellement changer”, explique-t-elle.

Avec la crise économique, la monnaie helvète est en effet devenue une valeur refuge, si bien que, “aujourd’hui un euro ne vaut plus que 1,20 franc suisse. Ce décrochage signifie que le taux d’intérêt de notre prêt a bondi de 4,37 % à 16 %”, souligne l’élue qui qualifie la situation d’inacceptable. La municipalité tente actuellement de trouver, avec Dexia, un moyen de sortir de cette situation. Sylviane Grosset-Janin a, pour l’instant, réussi à obtenir un sursis de la banque franco-belge. “Pour deux ans, notre taux d’intérêt est devenu fixe, aux alentours de 5 %. Il ne suit donc plus les fluctuations du franc suisse. Mais que va-t-il se passer après ?”, s’inquiète-t-elle.

Sans cet accord temporaire, Megève aurait dû payer 600 000 euros d'intérêts par an. “Il faut absolument que les pouvoirs publics interviennent parce que tant que je ne sais pas comment la situation va évoluer, on fait attention au budget. De futurs investissements pourraient donc être remis en cause”, reconnaît-elle. En arrivant à son poste, Sylviane Grosset-Janin ne pensait pas, en tout cas, que “le cours du franc suisse serait une préoccupation majeure de [sa] magistrature”…

Quiberon (Morbihan)
Emprunts souscrits : 3 653 000 euros
Surcoût estimé : 2 558 000 euros

Depuis 2002, la ville de Quiberon dispose de deux prêts. L’un d’une valeur de 2,5 millions d’euros à un taux fixe d’environ 6 %, l’autre d'un montant de 781 000 euros à taux variable. “En 2007, nous avons demandé à Dexia de renégocier le premier prêt car son taux était très élevé pour l'époque”, raconte Stéphane Marchetti, directeur général des services de Quiberon.

La banque leur propose alors de l’échanger contre un emprunt “structuré” du même montant, étalé sur 30 ans et indexé sur le taux de change de l'euro avec le franc suisse. La Ville accepte car le taux d’intérêt tombe à environ 4 %. “Pendant plusieurs années, cela a été une très bonne opération financière pour nous”, souligne Stéphane Marchetti. Mais, lorsque la monnaie suisse a commencé à gagner de la valeur, la situation risquait de déraper. “Nous avons très vite fait des estimations et, comme le taux d’intérêt allait dépasser 9 %, nous avons contacté Dexia qui a été très réactif”, raconte cet expert financier.

La “banque a accepté de neutraliser les effets négatifs de la hausse du cours du franc suisse et nous sommes revenus à un taux d’environ 6 %”, poursuit Stéphane Marchetti, qui estime que les chiffres publiés par "Libération" ne “reposent sur aucune réalité”. Celui-ci assure par ailleurs que la Ville n’a pas ressenti d’impact négatif à la suite de la souscription de ce prêt et que des travaux sur le port ont même pu être réalisés grâce à lui. Avant de préciser cependant que “ces produits structurés ont largement perdu de leur attrait”.

Balma (Haute-Garonne)
Emprunts souscrits : 5 849 000 euros
Surcoût estimé : 3 466 000 euros

“Les chiffres publiés par 'Libération' ne correspondent pas à la réalité”, tempête Laurent Méric, conseiller délégué (socialiste) en charge des finances de la Ville de Balma. Selon le quotidien, cette commune de 14 000 habitants a souscrit à trois prêts toxiques, alors que “le deuxième, d’une valeur de 2 536 000 euros, n’est qu’un remodelage du premier pour avoir de meilleurs conditions”, assure-t-il. Au total, Balma ne serait donc endetté qu’à hauteur de 3 millions d’euros.

Lorsque Dexia s’est présentée en 2007 avec son offre, la banque “a tout fait pour mettre la ville en confiance, tout en précisant qu’il s’agissait d’un emprunt à taux variable”, explique Laurent Méric. L’affaire semblait en effet sans risque : l’indice de référence du taux d'intérêt appliqué à la commune ne connaissait pas de fluctuations majeures. Sauf que la crise est (encore) passée par là...

Pour Laurent Méric toutefois, la Ville a réagi rapidement aux risques de dérapages : Dexia a accepté de changer l’indice de référence de l'emprunt et a gelé pendant deux ans les taux d’intérêt à 3,75 %, si bien qu’aujourd’hui, celui-ci estime que ces emprunts “ne sont toxiques que si on ne les suit pas de très près”. Et rappelle que cet argent a permis de créer une salle polyvalente.

Notre-Dame-de-Gravenchon (Seine-Maritime)
Emprunts souscrits : 3 877 000 euros
Surcoût estimé : 2 224 000 euros

En 2007, la commune de Notre-Dame-de-Gravenchon a souscrit auprès de Dexia un prêt de 7,5 millions d’euros d’un genre un peu particulier. La moitié de la somme est soumise à un taux fixe de 4,20 %, l’autre à un taux variable indexé sur l’évolution de la livre sterling britannique. “Lorsqu’on a signé, la partie variable avait un taux de 3,14 %, ce qui était très bon”, se rappelle Christian Maurice, premier adjoint au maire de Notre-Dame-de-Gravenchon en charge des finances.

Mais la crise provoque un effondrement de l’euro par rapport à la livre sterling et une envolée du fameux taux d’intérêt. Dexia revient alors à la charge, en 2009, et propose d’indexer la partie variable du prêt sur le franc suisse. “Ce qui me frappe a posteriori, c’est qu’en 2009, les banques connaissaient déjà les risques de ces prêts toxiques, mais que Dexia nous en a proposé malgré tout”,déplore aujourd'hui Christian Maurice, qui estime que Dexia n’a pas joué son rôle de banque des collectivités.

Depuis, le taux de change de l'euro avec le franc suisse a également dérapé. La Ville cherche donc désormais un moyen de sortir de ce prêt, mais “ce n’est possible pour l’instant qu’en payant d'énormes pénalités du surcoût”, souligne Christian Maurice. En attendant, la Ville, comme d’autres, a réussi à obtenir de sa banque un gel du taux d’intérêt à 5,80 % jusqu’en 2013. “Sans cet accord, nous serions obligés de payer 14 % d’intérêts, soit 190 000 euros par an en plus”, conclut l’adjoint.