logo

"Dix ans, c'est une étape symbolique, après il faudra arrêter les commémorations"

, envoyée spéciale à New York – Pour les 10 ans du 11-Septembre, Dening Lohez participera aux commémorations organisées à Ground Zero, à New York, afin de rendre hommage à son mari, Jérôme, l’un des quatre Français décédés lors de l’attentat. Témoignage.

La mémoire de Jérôme Lohez ne s’éteindra pas. Sa femme, Dening, s’en est fait la promesse le jour où elle a réalisé que son mari, l’un des quatre ressortissants français à périr dans l’attaque contre le World Trade Center le 11 septembre 2001, ne rentrerait plus jamais à la maison. En 2005, Dening a inauguré une fondation qui porte le nom de son mari pour renforcer les liens entre la France et les États-Unis. Aujourd’hui, la Jérôme Lohez Foundation offre des bourses aux étudiants français et américains qui souhaitent aller étudier en Amérique ou dans l’Hexagone.

Dix ans après la disparition de son époux, Dening semble avoir enfin retrouvé un peu de sérénité. Quand elle raconte l’évènement, sa voix est calme et posée, les mots sortent doucement derrière un sourire apaisé. "C’était un mardi, une très belle journée de septembre, on venait de rentrer de voyage…"

Une belle journée comme celle de ce vendredi de septembre 2011, où elle parvient enfin à raconter la tragédie qu’elle a vécue sans pleurer. Un rayon de soleil filtre dans le bureau de la fondation Jérôme 911, en plein cœur de Manhattan, faisant briller les longs cheveux noirs qui encadrent son visage.

Jérôme et Dening s’étaient dit oui trois ans avant le drame. Ils rêvaient, comme tous les jeunes mariés, de vivre heureux et d’avoir beaucoup d’enfants. Elle Chinoise francophile, lui Français voyageur, ils s’étaient rencontrés à l'Institut de sciences et de technologie du New Jersey. Le couple débordait d’ambitions. En 2001, âgé de 30 ans seulement, Jérôme dirigeait une entreprise d’ingénierie informatique. Il venait d’obtenir sa carte verte de résident américain. Le couple avait fêté l'évènement en France, pendant l’été.

Une attente insurmontable

Le 11 septembre, comme il en a l’habitude, Jérôme part tôt rejoindre son bureau du 26e étage de la tour nord du World Trade Center (WTC), à Manhattan. La suite malheureusement, le monde entier la connaît. L’avion, l’impact, le feu, la tour qui tombe... Dening assiste au drame depuis son bureau de Weehawken, une petite ville du New Jersey située au bord de l’Hudson River, sans trop y croire.

Quand elle réalise l’ampleur de la catastrophe, elle préfère rentrer chez eux. Elle en est sûre, Jérôme ne va pas tarder à arriver. Dening l’attend d’abord quelques heures sur le quai du "path", le train qui fait la liaison entre Manhattan et le New Jersey. Mais parmi les hommes en costume cravate qui déferlent paniqués de Manhattan, elle ne voit pas le sien. Ses appels téléphoniques sonnent désespérément dans le vide.

Dening ne cesse d’appeler Jérôme, espérant toujours qu’il a eu le temps de descendre quatre à quatre les marches de la tour nord du WTC avant qu’elle ne s’effondre.

"Je ne paniquais pas à ce stade : 26 étages, ce n’est pas haut, je pensais qu’il avait certainement eu le temps de s’échapper, qu’il était coincé sur l’île, à l’hôpital ou dans un poste de secours. Et puis j’ai vu cette publicité à la télé : son entreprise incitait les familles de ses employés à appeler un numéro d’urgence pour prendre des nouvelles de leurs proches", raconte-t-elle.

Dening s’accroche à l’espoir que lui donne une voix inconnue, à l’autre bout du fil : "Le mardi soir, on me dit de ne pas m’inquiéter, que mon mari est vivant, qu’il se trouve avec eux. Je recommence alors à respirer. Mais le lendemain matin, j’étais toujours sans nouvelle. Alors je rappelle le 800 et là, une autre personne me dit qu’il n’y a aucune trace de lui..."

Quand elle passe en revue - quatre, cinq, six fois d’affilée - le nom des rescapés dans un centre de secours déployé à la hâte dans Manhattan sans trouver celui de Jérôme, là encore, elle pense que ce sont ses yeux qui la lâchent, qu’elle n’y voit plus très clair. En rentrant chez elle, elle pénètre dans le dressing de son mari et enlace son costume. "Je voulais le prendre dans mes bras…"

Il lui faudra finalement attendre huit mois pour avoir la certitude que son mari n’est pas seulement "porté disparu". La triste nouvelle lui parvient un dimanche matin, alors que Central Park se couvre de fleurs et que flotte dans New York une atmosphère printanière. Un officier de police sonne à sa porte et lui tend, sans pouvoir lever les yeux sur elle, un numéro de téléphone imprimé sur une feuille blanche.

"- Madame Lohez ? Nous avons retrouvé les restes de votre mari. Vous pouvez venir les chercher…", entend-t-elle lorsqu'elle tombe sur le bureau médico-légal de New York. La nouvelle qu’elle redoutait tant est arrivée…

La fin d’un cycle

Selon les médecins-légistes, Jérôme est parti vite, sans souffrir. Un bien maigre soulagement pour Dening qui tente de lutter contre la dépression qui l’envahit. Après avoir fui la ville qui a englouti son mari, celle-ci s’est mise à parcourir le monde, désireuse de "comprendre ceux qui ont fait ça" et d'apprendre l'arabe. Elle se rend en Égypte et en Syrie, où elle s’installe quelques temps, puis visite la Jordanie, le Liban, la Turquie, la Tunisie et le Maroc.

Dening fait également le voyage pour la France, où elle retourne désormais chaque année pour lire des poèmes sur la tombe de Jérôme, qui a été enterré à Bourg-en-Bresse en 2002 "derrière une jolie petite église de plus de 500 ans". "Au moins, il a eu la chance de pouvoir être inhumé, et moi d’avoir une sépulture pour me recueillir, ce qui n’est pas le cas pour beaucoup de familles de victimes".

C’est aussi pour cette raison qu’elle se rendra aux commémorations organisées à Ground Zero, à New York, pour le dixième anniversaire du 11-Septembre, afin d’être aux côtés des familles qui pleurent leurs morts. Pour Dening, il s’agit, en quelque sorte, de marquer ainsi la fin d’un cycle. "Dix ans, c’est une étape symbolique. Après cela, il faudra cesser les commémorations collectives et laisser les familles vivre leur deuil dans l’intimité. Moi, j’ai rempli ma promesse de maintenir en vie la mémoire de Jérôme en créant une fondation. Maintenant, il faut que je le laisse partir…"