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, envoyées spéciales à New York – Le quartier new-yorkais "Little Pakistan", qui s'était vidé de sa communauté pakistanaise à la suite de l'attaque terroriste du 11-Septembre, s'est aujourd'hui reconstruit. Reportage.

À Brooklyn, sur Coney Island Avenue, une pizzeria halal et un fast-food côtoient une épicerie pakistanaise et un bureau de transfert d’argent au-dessus duquel flottent les drapeaux américain et pakistanais.

Dans "Little Pakistan", ce quartier de New York où l'anglais et l'ourdou cohabitent sur les façades des magasins, les fragrances savoureuses des samosas appâtent les mères de famille en hijab, accompagnées de leurs enfants sortis de l’école.

Au coin de Coney Island Avenue et de Foster Avenue, une femme corpulente fait griller des épis de maïs sur un vieux barbecue au charbon de bois. Elle s’appelle Kaneez Fatima. "Voici mon quartier, tout se passe bien ici", confie-t-elle en ourdou. "Ici, c’est chez moi. Et je suis la reine de ce coin-là", ajoute-t-elle avec un rire guttural. Autour d’elle, ses clients, solidaires, acquiescent entre deux bouchées.

15 000 Américains d’origine pakistanaise ont fui les États-Unis en 2003

Dix ans après les attentats du 11-Septembre, les commerces de Coney Island Avenue sont prospères – ou du moins autant qu’il est possible de l’être en pleine crise économique.

Le quartier a beaucoup changé depuis l’attaque islamiste sur le sol américain. À l’époque, le durcissement de la loi antiterroriste avait conduit à une multiplication des arrestations dans la communauté pakistanaise – souvent pour des faits mineurs – et la peur avait gagné le quartier. Nombreuses étaient les femmes et les sœurs, dont certaines ne parlaient pas anglais, à ne pas avoir de nouvelles de leurs proches en détention.

Dans les mois qui suivirent les attentats, les magasins animés du quartier durent fermer, tandis que des milliers de Pakistanais préférèrent quitter le territoire américain pour le Canada ou leur pays natal. En mai 2003, environ 15 000 personnes sur les 120 000 que compte "Little Pakistan" avaient fui les États-Unis, selon les chiffres du gouvernement pakistanais.

Depuis, les choses se sont améliorées. "Le quartier renaît", explique Hasan Raza, à la tête de l’association locale pour la vie de quartier COPO ( Council of Peoples Organization). "En 2002, Coney island Avenue était une rue fantôme, les gens avaient disparu, les magasins avaient fermé. Aujourd’hui, les commerces rouvrent – malgré les difficultés liées à la crise."

Les "chefs" du quartier : ambassadeurs de leur communauté

Environ deux tiers des 700 000 Américains d’origine pakistanaise vivent à New York et dans sa banlieue. Ces dix dernières années, le quartier a été le point de mire de nombreux journalistes. À chaque événement de l’actualité qui venait rouvrir le dossier "Pakistan et terrorisme", une foule de reporters fondaient sur "Little Pakistan" pour prendre la température.

Et le dossier a été rouvert à plusieurs reprises. En mai 2010, lorsque Faisal Shahzad, un citoyen américain d’origine pakistanaise récemment naturalisé, avait tenté d’activer sa bombe à Times Squares, au centre de Manhattan. Interpellé par les forces de l’ordre, il avait reconnu avoir été formé dans la province du Warizistan au Pakistan. Un an plus tard, lorsque la marine américaine et la CIA ont mis la main sur le chef d’Al-Qaïda, Ben laden, à Abbottabad, au nord du Pakistan, avant de le tuer. Une opération qui avait alors ravivé les soupçons de collusion entre militants islamistes et gouvernement pakistanais.

Mais à chaque coup porté à la diplomatie américano-pakistanaise, les habitants de "Little Pakistan" se sont mis en ordre de bataille. Inlassablement, les membres de la communauté pakistanaise ont réitéré leur rejet de la violence et rappelé leur patriotisme, arguant que tous sont des citoyens respectueux des lois.

Cette réaction est la preuve que la communauté de "Little Pakistan", largement désorganisée et incapable de répondre aux besoins de ses membres au moment du 11-Septembre, a tiré les enseignements de l’événement. COPO en est l’exemple. L’association a vu le jour dans un commerce, devenu pour l’occasion un point de ralliement des habitants du quartier. Une fois les problèmes de la communauté réglés, le propriétaire compte bien reprendre les affaires.

Engagés aux côtés des États-Unis

Dix ans plus tard, l’association a non seulement survécu, mais elle s’est diversifiée. COPO dispense aujourd’hui des cours d’anglais, propose des programmes spécifiques pour la jeunesse et organisent des forums de discussion où les membres de la communauté et les forces de l’ordre apprennent à dialoguer.

Si, à l’époque, "Little Pakistan" n’avait pas pu se préparer aux répercussions de la tragédie du 11-Septembre, le quartier a aujourd’hui pleinement conscience de l’importance de sa mission. Encourager les membres de sa communauté à coopérer avec le gouvernement est une méthode efficace pour lutter contre la peur de l’autre.

"COPO a été une parenthèse argentée dans le sombre nuage du 11-Septembre", confie Hasiba Rashid, une des membres de l'association. "Il aura fallu un tragique événement pour éduquer les gens, les sensibiliser", ajoute-t-elle, "mais nous avons tiré une leçon. Et maintenant, nous sommes totalement engagés aux côtés des États-Unis, notre pays."