Un haut fonctionnaire met en cause Christine Lagarde dans l'affaire opposant Bernard Tapie au Crédit Lyonnais, affirmant qu'il avait agi à sa demande en 2007. Jeudi, la justice a ouvert une enquête sur l'implication éventuelle de la DG du FMI.
REUTERS - Un haut fonctionnaire intervenu en 2007 pour déclencher l'arbitrage en faveur de l'homme d'affaires Bernard Tapie dit avoir agi sur les ordres impératifs du cabinet de Christine Lagarde, alors ministre de l'Economie.
Cette déclaration, dans un entretien au journal Le Monde publié vendredi, de Bernard Scemama, nommé le 15 septembre 2007 à la tête de l'EPFR, établissement public qui fut le levier du gouvernement, intervient au lendemain de l'ouverture d'une enquête pénale sur Christine Lagarde à la Cour de justice de la République.
"J'ai été reçu dès ma nomination par Stéphane Richard, le directeur du cabinet de la ministre des Finances, Christine Lagarde. Il m'a tout de suite parlé du dossier Tapie et m'a donné une consigne claire: il fallait aller à l'arbitrage. 'C'est la décision du gouvernement', m'a-t-il dit", raconte Bernard Scemama.
La ministre ne lui a pas parlé directement, dit-il, mais lui a envoyé des courriers sur le sujet. Il traitait avec son directeur de cabinet. "Quand le directeur de cabinet parle, c'est la ministre qui parle".
Il dit avoir été surpris par le fait que finalement, 45 des 285 millions d'euros accordés à Bernard Tapie le soient au titre du préjudice moral. "Ma réaction immédiate avait été très négative. J'avais trouvé l'octroi de cette somme supplémentaire complètement disproportionné, et je l'avais dit en réunion de conseil. C'était choquant".
Il déclare aussi qu'il ignorait qu'un des trois arbitres choisis, le magistrat en retraite Pierre Estoup, avait des liens avec Bernard Tapie.
Le chèque remis en cause ?
Bernard Scemama fait l'objet de poursuites financières devant une Cour de discipline budgétaire, qui pourrait le déclarer responsable sur ses biens personnels. C'est aussi le cas de Jean-François Rocchi, autre haut fonctionnaire intervenu dans l'affaire. Les deux hommes font en outre l'objet d'une enquête de police pour "abus de pouvoirs sociaux".
"Je le vis très mal car je n'ai rien à me reprocher. Tous les actes aujourd'hui contestés ont été pris avec l'approbation ou à la demande de la ministre", dit Bernard Scemama.
Christine Lagarde a toujours assumé le choix de l'arbitrage plutôt que la voie judiciaire, alors que l'Etat avait gagné en cassation, pour solder le contentieux avec Bernard Tapie sur la revente en 1993 d'Adidas par le Crédit Lyonnais, alors banque publique.
L'idée, a-t-elle expliqué depuis le début de l'affaire, était de mettre un terme à un dossier qui durait depuis trop longtemps et coûtait cher en frais d'avocats.
L'opposition voit dans l'arbitrage, où Bernard Tapie a conservé plus de 200 millions d'euros, une faveur politique de Nicolas Sarkozy liée au soutien reçu de Bernard Tapie, ex-ministre de François Mitterrand, à la présidentielle de 2007.
Dans un entretien à Libération publié vendredi, Bernard Tapie se dit confiant et soutient Christine Lagarde. "Elle (l'enquête) aboutira, j'en suis convaincu, à la même conclusion que le tribunal administratif: aucune faute n'a été commise".
L'homme d'affaires dit penser que le fait que le tribunal administratif, confirmé par le Conseil d'Etat, ait jugé irrecevables des recours contre l'arbitrage clot l'affaire et garantit qu'il ne rendra pas le chèque.
"Il faut arrêter de fantasmer, en aucun cas la sentence arbitrale rendue ne peut être remise en cause", dit-il.
Le parquet général de la Cour de cassation estime au contraire que le dossier n'est pas soldé, la question de la légalité de l'arbitrage n'étant pas tranchée sur le fond. Si les instructions établissaient qu'il s'agissait d'une fraude, la question pourrait être rouverte, a dit un avocat général à Reuters.