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La réconciliation serbo-kosovare se heurte à la question des frontières

L'attaque, dans la nuit de mercredi à jeudi, d'un poste-frontière du nord du Kosovo met en lumière les profonds désaccords qui persistent entre la Serbie et le Kosovo, dont Belgrade ne reconnaît pas l’indépendance.

Depuis quelques jours, la tension ne cessait de monter entre la Serbie et le Kosovo. Dans la nuit de mercredi à jeudi, elle a atteint son paroxysme. Une centaine de jeunes gens ont attaqué puis incendié un poste-frontière situé dans l’enclave serbe au nord du Kosovo. De l’aveu de l’ambassadeur français au Kosovo, cité par Reuters, la situation sécuritaire à la frontière serbo-kosovare "n’est pas hors de contrôle mais elle n’est pas bonne".

Les chercheurs s’accordent cependant à dire que ces heurts ont peu de risque de dégénérer en un conflit plus sérieux. "La situation est très différente de celle que la région a connue en 1998-1999 pendant la guerre du Kosovo, explique Odile Perrot, chercheur en sciences politiques qui a travaillé au sein de l'Organisation pour le sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Pristina et Belgrade n’ont ni envie ni intérêt à ce qu’une guerre éclate." Cependant, ces affrontements mettent en lumière les profonds désaccords politiques qui continuent d’opposer les deux pays, notamment sur la question des frontières.

La frontière nord du Kosovo, une terre de trafics

Pour Odile Perrot, politologue spécialiste du Kosovo, l’attaque du poste-frontière est également lié à la multitude de réseaux de trafiquants qui fleurissent dans la région. "La frontière serbo-kosovare pullule de trafics en tout genre plutôt lucratifs, et les bandes imposent leurs lois pour en garder le contrôle, explique la politologue. Le développement du banditisme dans cette région, et plus largement dans les Balkans, où les criminels peuvent circuler en toute impunité, inquiète beaucoup l’Union européenne".

Sous la pression de l’Union européenne (UE), à l’adhésion de laquelle ils sont tous les deux candidats, la Serbie et le Kosovo avaient pourtant entamé, bon gré mal gré, des négociations en mars dernier. Un accord a même été signé début juillet. Désormais, la Serbie reconnaît les plaques d’immatriculation, les cartes d’identité et les diplômes universitaires kosovars. Cette ébauche de rapprochement n’est pas aussi timide qu’elle en a l’air : les Kosovars peuvent désormais voyager en Serbie…

Au point mort

Mais depuis, les discussions sont au point mort. Sur la question des frontières, les deux pays ne parviennent pas à s’entendre. Les racines de ce problème remontent en 2008, au moment de la déclaration d’indépendance du Kosovo. À cette époque, Belgrade, imité par les Serbes du Kosovo, refuse de reconnaître la souveraineté du territoire. "Au moment de sa déclaration d’indépendance, le Kosovo ne contrôlait pas - et ne contrôle toujours pas - l’enclave majoritairement serbe au nord du territoire", explique Jacques Rupnik, politologue spécialiste des problématiques d’Europe centrale.

Dans cette enclave, Pristina n’a ni la mainmise sur les frontières, ni sur l’administration. Ignorant la déclaration d’indépendance du Kosovo, Belgrade continue à financer les services publics dans le nord de la région, à verser les salaires des fonctionnaires et à exercer son autorité sur le territoire. La frontière entre le nord du Kosovo et la Serbie est pratiquement inexistante : civils et marchandises circulent sans contrôle, laissant à un vaste réseau de trafics l’occasion de s’épanouir.

Parallèlement, dès 2008, Belgrade instaure un boycott de tous les produits estampillés "République du Kosovo"… mais poursuit ses exportations vers ce pays. "Sous la pression de la communauté internationale, le Kosovo n’opère pas de mesure de représailles. Cette situation va durer pendant trois ans, explique Odile Perrot. Mais le 20 juillet dernier, Pristina décide à son tour de bloquer les importations en provenance de la Serbie". La décision provoque un regain de tensions entre les deux pays.

Pristina tente d’imposer son autorité dans le Nord

Le 25 juillet, la tension monte encore d’un cran. Sans l’aval d’Eulex, la mission civile de l’Union européenne, ni de la Kfor, la force de maintien de la paix de l’Otan déployée depuis la fin du conflit ethnique en 1999, le ministre kosovar des Affaires intérieures, Bajram Rexhepi, organise une opération policière sur deux postes-frontières du nord du Kosovo, objet de litige avec la Serbie, pour faire respecter l’embargo sur les produits serbes.

"En réalité, le gouvernement kosovar a tenté d’imposer son autorité sur la région et de contrôler la frontière, d’instaurer des douanes et des taxes, estime Jacques Rupnik. Mais les nationalistes serbes ont perçu cela comme une sorte d’annexion de ce territoire à la Serbie, ce qu’ils ont jugé inacceptable. L’attaque de mercredi est la conséquence de cette opération. Pour les extrémistes, la politique du pire est préférable à la reconnaissance de l’indépendance du Kosovo."

Alors que le gouvernement kosovar a ouvertement pointé Belgrade du doigt, le président serbe, Boris Tadic, a joué l’apaisement en condamnant un acte perpétré par "les extrémistes et les hooligans […] souhaitant mettre un terme, par des actes unilatéraux et par des violences, au processus de paix et au dialogue entre Belgrade et Pristina".
 

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