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Necotrans Vs Bolloré : duel pour le contrôle du Port de Conakry

Sur le port de Conakry en Guinée, la bataille fait rage : depuis quelques mois, deux entreprises françaises se font face pour obtenir la gestion du port à conteneurs de la capitale Guinéenne. Le Journal de l’Intelligence Economique d’Ali Laïdi a enquêté sur cette guerre qui ternit l’image commerciale de la France en Afrique.

120 000 conteneurs transitent chaque années par le port de Conakry. Un nombre en constante augmentation dans un port de plus en plus stratégique. Proche du Mali et de pays enclavés comme le Burkina et le Niger, le port suscite depuis 2008 toutes les convoitises des grands groupes internationaux. Maersk, Bolloré, NCT Necotrans, ils ont tous répondu à l’appel d’offre lancé en 2008 par l’Etat guinéen. C’est finalement la Société GETMA International, filiale du groupe français NCT Necotrans qui remporte le contrat, devançant ainsi ses rivales dans la gestion du port à conteneurs.

Entre Sénégal et Côte d’Ivoire, le développement du port promettait de belles perspectives commerciales au groupe Necotrans.

Mais à partir de 2008, les gouvernements guinéens se succèdent et ne se ressemblent pas. En décembre de cette année, Lansana Conté, le président guinéen, meurt. Il laisse sa place au capitaine Dadis Camara qui, victime d’un attentat un an après son intronisation, se retire à son tour. Le jeu des chaises musicales se poursuit et en mars 2010, l’opposant historique, Alpha Condé, est élu président de la République.

Pendant ces trois années d’instabilité politique, le contrat signé entre NCT Necotrans et le gouvernement guinéen est maintenu. Mais le 8 mars 2011, le vent tourne sur le port de Conakry.

Ce jour-là, les avocats de NCT Necotrans rencontrent, dans la capitale Guinéenne, le nouveau président. Lors d’un dîner, celui-ci leur annonce la résiliation immédiate du contrat.

Un des avocats se souvient : "Le soir, vers 9h ou 10h, nous sommes informés par les gens de chez GETMA, que des forces armées sont arrivées au Port, qu'un bateau était en train d'être déchargé et que ce déchargement a été arrêté. Les salariés ont été priés d'évacuer la zone portuaire et il y a également des forces armées qui sont à plusieurs centaines de mètres, au bureau de la société GETMA", explique ainsi maître Cédric Fisher depuis son cabinet parisien.

Et la suite n’est pas pour rassurer les salariés de Necotrans. Le 10 mars 2011 au matin, les bureaux sont investis par des équipes du groupe Bolloré. "Ils prennent possession des lieux en terrain conquis", poursuit Cédric Fisher. Pour l’avocat, cela ne fait aucun doute, ce sont bien des salariés de Bolloré qui s’installent dans les locaux de GETMA. Des photos prises à la hâte en témoignent, et dans ces milieux "tout le monde se connaît !" ajoute-t-il.

Quelques mois plus tard, lors d’une visite officielle à Paris, le président Condé est interviewé par Europe 1. Lorsqu’on l’interroge sur ses liens privilégiés avec le groupe Bolloré, organisateur d’une partie de sa campagne électorale, il esquive : "Je suis un homme indépendant. Si dans deux ans, j’audite Bolloré et je vois qu’il n’a pas respecté ses engagements, j’enlèverais sa convention", affirme-t-il.

Pour l’heure, la société Necotrans et sa filiale GETMA International se sentent lésés. Depuis 2008, elles avaient investit "plus de 30 millions d’euros sur le port de Conakry", argue Grégory Quérel, président du Directoire de Necotrans.

Le groupe porte plainte auprès du procureur de la république pour "soupçon de corruption internationale". Le 26 mai 2011, la justice française condamne Bolloré Africa Logistics à fournir la convention qui la lie à l’Etat guinéen. La trentaine de pages est suivie d’un avenant signé fin avril 2011, qui attribue au groupe Bolloré l’intégralité de la concession du terminal conventionnel, ce qui ne faisait pas parti du contrat avec Necotrans. Le groupe Bolloré gère ainsi l’ensemble du port : un cas unique dans le monde !

Cette guerre entre entreprises n’a pourtant rien d’exceptionnel, estime Matthias Audit, professeur de droit privé à l’Université Paris X (Nanterre). Pour lui, "c'est symptomatique du monde des investisseurs étrangers en Afrique".
Sur le port de Conakry il s’agit d’un affrontement franco-français, mais cela peut être plus varié, estime le professeur de droit : "entre investisseurs français et chinois en Afrique centrale, on voit cela assez fréquemment".

Les causes de cette guerre économique fratricide résident sans doute dans la nouvelle concurrence internationale à laquelle la France doit faire face en Afrique, estime Matthias Audit : "Dans cette zone, les entreprises françaises se voient aujourd’hui concurrencer par des entreprises venant d'autres horizons. Peut être que des conflits qui n'auraient pas existé par le passé entre entreprise françaises peuvent naître d'un marché qui se réduit pour ces entreprises".

Pour l’heure, la procédure judiciaire suit son court devant le parquet de Nanterre ainsi que devant la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage d’Abidjan, en Côte d’Ivoire.