Les péripéties de l’affaire DSK ont mis en lumière plusieurs différences culturelles entre les États-Unis et la France. Spécialiste des relations franco-américaines, Dominique Moisi décrypte, pour FRANCE 24, l’incompréhension qui en a découlé.
Les images de Dominique Strauss-Khan, alors tout puissant directeur général du FMI et grand favori de la primaire socialiste en vue de la présidentielle de 2012, quittant les locaux du commissariat de Harlem, mal rasé et menottes aux poignets devant un parterre de photographes, avaient choqué les Français. De leur côté, les Américains se sont offusqués du silence radio des journalistes français au sujet des accusations passées contre DSK et, par extenso, de l’omerta générale concernant le comportement des hommes politiques de l'Hexagone à l’égard de la gent féminine. En outre, les médias français ont rapidement divulgué le nom de la victime présumée de DSK - un acte contraire aux us et coutumes de la presse américaine en matière d’agression sexuelle.
Ainsi, depuis le début de
l’affaire DSK et l’arrestation de l’ex-ministre socialiste en mai dernier, la France et les États-Unis n’ont cessé de se regarder en chiens de faïence - le cocktail "sexe, pouvoir et argent" de l’affaire ayant pimenté le tout. Les différences entre les deux systèmes judiciaires, entre les pratiques journalistiques et les conceptions du féminisme sont au coeur de cette incompréhension. Pour y voir plus clair, FRANCE 24 a interrogé le professeur de Science-Po Dominique Moisi, grand spécialiste des relations franco-américaines, qui a notamment enseigné à la prestigieuse université de Harvard.
France24.com : Que reprochent exactement les Français aux Américains dans la gestion du cas DSK ?
Dominique Moisi : Le premier des reproches est la brutalité de l’humiliation inutile d’un homme qui n’a, pour l’instant, que le statut d’un suspect. Alors qu’il est au "sommet du pouvoir", vous le menottez, non sans alerter les médias, alors qu’il est sur le point d’être transféré. Les Français perçoivent ce mode opératoire comme un acte délibéré visant à humilier. Ils se demandent si les Etats-Unis sont véritablement un pays civilisé, tandis que les Américains se demandent, eux, si la France est un pays démocratique alors que ses élites s’égarent et que personne ne semble s’en inquiéter.
F24 : Quelles sont les principales différences entre les deux pays pour le traitement de ce genre d’affaire ?
D.M. : En France, une affaire impliquant une personne comme DSK aurait été traitée avec plus de discrétion. Il y a matière à doutes, mais on ne sait pas s’il est coupable. De plus, il a d’importantes responsabilités. En France, la presse aurait été tenue à l’écart autant que possible afin de protéger l’individu.
Mais c’est difficile d’avoir un seul point de vue. Aux Etats-Unis, le bureau du procureur a fini par prendre ses responsabilités en révélant sans attendre ses doutes sur la crédibilité de la victime présumée. Dans ce cas précis, le système américain a montré son efficacité. Dans le cadre de ce système, c’est l’égalité qui prime avant la loi - bien que cela ne semble pas évident quand on voit les sommes d’argent en jeu et les salaires des avocats.
Pour bon nombre de Français, le système américain a échoué. Ils estiment que les Américains ont provoqué un énorme scandale à l’échelle planétaire sans prendre la peine de se pencher sur la personnalité de la femme qui accuse DSK.
F24 : Cette affaire a également mis au jour des approches différentes sur la question du féminisme. Pouvez-vous les décrire ?
D.M. : Je pense que nous assistons à une confrontation entre le puritanisme américain et le marivaudage français issu du XVIIIe siècle [vision des rapports amoureux fondée sur la légèreté, le jeu et la séduction]. Il est évident que ces différences sont imputables au fait qu’il s’agit, d’un côté, d’un pays majoritairement protestant et, de l’autre, d’un pays catholique.
Ce qui me frappe en France, c’est la différence entre les réactions des hommes et des femmes sur l’affaire DSK. Cette différence est aussi importante que celle qui existe entre les deux pays. La majorité des femmes françaises étaient convaincues de la culpabilité de DSK, tandis que les hommes semblaient plus prudents. Tous les témoignages de soutien envers l’ex-patron du FMI ont été prononcés par des hommes. En somme, la véritable différence sur cette question oppose la gent masculine des deux pays.
F24 : Aux États-Unis, l’avenir politique de DSK aurait été très compromis. Qu’en est-il en France ?
D.M. : Cette affaire ne l’aidera pas à devenir président, car elle lui a évidemment nui. Mais peut-être qu’un jour il pourra dire : "Je connais bien l’Amérique et j’en ai souffert. Alors comment pouvez-vous me désigner comme un laquais du capitalisme américain, alors que j’ai davantage souffert que quiconque de leur système ?"