Pour l'économiste grec Costas Douzinas, le plan d'austérité que l'Union européenne (UE) et le Fonds monétaire international (FMI) est parvenu à imposer à Athènes confine au néocolonialisme. Une analyse un peu hâtive, selon d'autres spécialistes.
À force de vouloir sauver la Grèce de la faillite, l’Union européenne (UE) et le Fonds monétaire international (FMI) auraient-ils eu un comportement "néocolonial" à l’égard d’Athènes ? L'idée peut sembler saugrenue mais Costas
Douzinas, économiste grec et professeur de droit à l’université de Londres, y croit dur comme fer. Le 27 juin, le chercheur s’est fendu d’une tribune dans le quotidien britannique The Guardian, où il y défendait la thèse que le nouveau plan d’aide financière internationale est une arme impérialiste.
Contacté par France 24, Douzinas persiste et signe : "À l’heure actuelle, ce sont les représentants de la troïka [FMI, UE, Banque centrale européenne, ndlr] qui sont aux manettes des centres de décisions politiques et économiques grecs." Selon l'économiste, depuis que des négociations ont été engagées en mai sur un deuxième plan d’aide internationale, la Grèce aurait abdiqué une partie de sa souveraineté. "L’Union européenne a imposé un état d’urgence économique à la Grèce, une décision qui ne peut normalement être pris que par un État souverain", juge-t-il.
"Brader les bijoux de famille"
Autre exemple d’abandon de souveraineté : l’obligation faite aux responsables grecs de se rendre régulièrement à Bruxelles afin d'y rendre compte de leurs efforts pour assainir les finances et les visites tout aussi régulières de représentants de la troïka à Athènes. "Cela s’apparente à une sorte de mise sous tutelle administrative qui n’est pas sans rappeler ce que l’Italie avait mis en place en Albanie à l’époque mussolinienne", estime à France 24 Pascal Blanchard, historien et co-directeur du Groupe de recherche Achac-Colonisation, immigration, post-colonialisme. Il fait référence à l'annexion de l'Albanie par l'Italie en 1939 et la mise en place d'une politique de colonisation par le régime fasciste de Rome.
Et ce n’est pas fini, estime Costas Douzinas qui craint les conséquences du plan de privatisation massive que la Grèce doit entreprendre pour avoir droit à l’aide financière internationale. "Il s’agira de privatisations à la sauce post-soviétique où des entreprises stratégiques sensibles [comme les groupes énergétiques, ndlr] seront vendus à bas prix à des investisseurs privés notamment étrangers", prévoit l’économiste grec.
Depuis le début de la crise grecque, la valeur boursière des sociétés grecques a été divisée par trois. Une dégringolade qui risque de donner lieu à "une grande braderie des bijoux de famille", reconnaît Céline Antonin, économiste spécialiste de la Grèce à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), pour qui, cependant, le qualificatif de "néocolonial" est abusif.
À la demande d'Athènes
"Il ne faut pas oublier qu’à l’origine, c’est la Grèce qui a demandé l’aide de l’UE et du FMI", rappelle Céline Antonin. Une manière de dire que la troïka n’a pas imposé sa volonté à une Grèce récalcitrante. Athènes n’est pas non plus étranger au sentiment de méfiance qui a poussé les autres pays européens à mettre en place des visites régulières. Le pays est, en effet, soupçonné d’avoir longtemps maquillé ses comptes pour masquer ses déficits.
Dans ce contexte, la rigueur économique imposée par l'UE n'a rien d’étonnant. "Il ne faut pas oublier que l’Union européenne est une construction libérale et lorsqu’on lui demande des solutions, Bruxelles va appliquer les méthodes libérales de réduction des déficits", note Céline Antonin.
Ce n’est pas non plus la première fois que le FMI pose des conditions très contraignantes à un pays en échange de son aide financière. L’Argentine en 2001, les pays Asiatiques à la fin des années 1990 avaient déjà dû avaler à contrecœur la pilule amère du médecin FMI. Ces États avaient dû déréglementer fortement leur économie, privatiser bon nombre d'entreprises et faire des coupes franches dans leurs budgets. Des mesures similaires que l'on retrouve aujourd'hui dans le nouveau plan de rigueur voté par la Grèce. "La seule chose qui puisse choquer, c’est qu’on ait pu penser qu'avec l'ex-directeur du FMI Dominique Strauss-Kahn l'institution était devenue moins brutale, alors que ce n’est pas le cas", remarque Céline Antonin.