
La dépénalisation du cannabis revient sur le devant de la scène politique française. La droite s’offusque, la gauche hésite. Entre fantasme et réalité, Alain Rigaud, addictologue, fait le point sur les dangers de cette substance illicite.
C’est le retour d’un vieux serpent de mer : dépénaliser ou non le cannabis ? À l’approche de l’élection présidentielle de 2012, le débat revient sur le devant de la scène politique. Le député socialiste Daniel Vaillant a ainsi décidé d’en faire son cheval de bataille, proposant "une légalisation contrôlée" du cannabis pour mieux lutter contre les trafics. Le rapport parlementaire qu'il a présenté mercredi à l'Assemblée nationale préconise, entre autres choses, la mise en place d'une filière nationale de culture de chanvre indien sur 53 000 hectares, un contrôle de son importation, ainsi que la distribution de cette drogue dite "douce" dans des lieux dédiés.
La légalisation signifie que l’usage de drogue est autorisé et que sa production et sa commercialisation sont permises.
La dépénalisation, en revanche, prévoit simplement une suppression des sanctions pénales (amende et emprisonnement) associées à la consommation de cannabis. Sa production et sa commercialisation restent toutefois interdites.
À droite, cet énième débat sur le sujet fait grincer des dents. La "dépénalisation" du cannabis " serait une erreur totale", juge ainsi le ministre de la Santé, Xavier Bertrand. Une "légalisation" serait "une folie sur le plan de la santé publique", estime de son côté Bernard Accoyer, le président de l’Assemblée nationale (UMP). Dans son ensemble, la majorité présidentielle craint qu'une telle mesure n'entraîne une hausse de la consommation de marijuana sans en enrayer la contrebande.
Mais au Parti socialiste (PS) également, le sujet divise. La dépénalisation va "à l’encontre des valeurs", estime par exemple Manuel Valls, député-maire d’Évry (Essonne), et dérange Bruno Le Roux, porte-parole du groupe socialiste à l’Assemblée, qui avoue ne pas "être un grand fan" de la proposition. Entre fantasme et réalité, que faut-il vraiment retenir de la consommation d'herbe en France et en Europe ? Sa dépénalisation serait-elle réellement un drame pour la santé publique ? Alain Rigaud, psychiatre, président de l'Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (ANPAA) et membre de la Société française d'alcoologie (FFA), revient sur les clichés qui entourent le chanvre indien.
FRANCE 24 : La France consomme-t-elle plus de cannabis que les autres pays européens ?
Alain Rigaud : Depuis les années 1990, la consommation de cannabis en France n’a cessé d’augmenter chez les 12-75 ans. Avec la République tchèque, le Danemark et le Royaume-Uni, L’Hexagone se place parmi les pays où la prévalence de la marijuana est la plus élevée. Dans le reste du continent, les bons élèves sont la Bulgarie, la Grèce, la Finlande et la Suède.
Selon les derniers chiffres de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) datant de 2007, il y aurait 1,2 million de consommateurs réguliers de cannabis - ayant fumé au moins 10 fois dans le mois - et 3,9 millions de consommateurs épisodiques - ayant fumé au moins une fois dans l’année. Des chiffres qui ont quadruplé ces 20 dernières années...
Pourtant, les Français, comme beaucoup le pensent, ne sont pas les plus gros consommateurs d'Europe. Ce sont les Tchèques qui détiennent ce triste record.
Pensez-vous que la politique répressive menée par la France est vaine ?
A.R. : La France conserve l'une des législations les plus sévères en Europe. Or, sa politique répressive n’a jamais vraiment fonctionné. Non seulement elle n’est pas dissuasive, mais elle n’a en plus aucun impact sur le niveau de consommation. Avant la loi de 1970, l’usage privé de la marijuana était autorisé : on en consommait quatre fois moins qu’aujourd’hui... Les chiffres parlent d’eux-mêmes !
Mais nous sommes dans un pays où les hommes politiques français continuent de penser que toutes les drogues (cannabis, héroïne, cocaïne, ectasy…) se valent et que leur dangerosité est identique. Je ne suis pas en train de dire que le cannabis n’a pas de conséquences néfastes, mais simplement que dépénaliser le cannabis ne conduit pas à une hausse de sa consommation, malgré ce qu'en pensent certains politiques.
Prenez l’exemple des Pays-Bas : la consommation de cannabis y est tolérée et elle n’a jamais explosé. Idem pour le Portugal, qui a autorisé la détention de marijuana dans le cadre d'une consommation personnelle : aujourd'hui, le pays fait partie de ceux qui comptent le moins de consommateurs en Europe.
Je voudrais ajouter que, pour des raisons historico-culturelles, l’alcool est licite en France. Pourtant, en terme de santé publique, il s'agit de la troisième cause de mortalité dans le pays derrière le tabac et l’hypertension. Le cannabis n’arrive que très loin derrière.
Iriez-vous jusqu’à dire que la dépénalisation est une solution pour enrayer ce problème de santé publique ?
A.R. : Je pense que la répression n’est pas la solution. Je ne suis pas là pour politiser le sujet. Je voudrais simplement rappeler que les différents rapports scientifiques ont tous mis en évidence le même constat, à savoir qu'il n’y pas de connexion entre le statut légal d’un produit psychoactif, sa consommation et sa dangerosité.
Certains mettent en avant les risques sanitaires pour interdire la dépénalisation du cannabis, mais cet argument est fallacieux. Quand Bernard Accoyer avance l’argument qu'il y a un risque psychiatrique [la schizophrénie, NDLR] lié à une consommation excessive de marijuana, il omet de dire que ce risque existe aussi en cas de consommation excessive d’alcool…
En tant que médecin, je veux donc me cantonner à présenter les avantages que présente la dépénalisation, à savoir, surtout, un meilleur accès aux soins pour tous ceux qui ont développé une dépendance à cette drogue.