Ce jeudi, 650 000 lycéens français passent "l’épreuve reine" du baccalauréat, la philosophie. À la différence des autres étudiants européens, davantage initiés à l'histoire des idées, les jeunes Français apprennent à "philosopher".
Elle est surnommée l’"épreuve reine". La philosophie, la "philo" pour les lycéens, donne traditionnellement le coup d’envoi du baccalauréat français, diplôme qui couronne l’enseignement secondaire et ouvre les portes de l’enseignement supérieur. Tous les ans pendant quatre heures, les lycéens français sont amenés à plancher sur des questions telles que celles proposées l’an dernier : "La recherche de la vérité peut-elle être désintéressée ?", "Dépend-il de nous d’être heureux ?"
Une épreuve redoutée qui sanctionne un enseignement spécifique à la France : celui de la philosophie. En terminale, la discipline est obligatoire pour tous les lycéens, à raison de huit heures par semaine pour la section littéraire, quatre heures pour la section économique et social, trois heures en section scientifique et deux heures pour les filières techniques. Chaque année, 650 000 lycéens y sont confrontés. "Cet enseignement a l’ambition de poser les premiers éléments de la culture et du raisonnement en philosophie […], il vise à développer d’abord la capacité de ‘réflexion personnelle’", notait en 2006 Mark Sherringham, inspecteur de l’Éducation nationale dans la revue de l’inspection générale.
Forger une "réflexion personnelle". C’est là que se situe la particularité de l’enseignement philosophique à la française. Car nombre de pays européens imposent, au lycée, un enseignement de la philosophie sous forme d’histoire des idées, dispensé par des professeurs d’histoire, comme en Italie, ou d’histoire de la philosophie, comme en Espagne. D’autres pays proposent ce même type de cours en option, comme en Allemagne, en Suisse ou en Suède. "Seul l’enseignement dispensé au Portugal est proche du nôtre, affirme Simon Perrier, professeur et président de l’association des professeurs de philosophie. Mais dans la plupart des pays, il s’agit souvent d’une présentation chronologique ou d’une succession d’idées philosophiques très lacunaires. Parfois, il s’agit d’une philosophie instrumentalisée par une morale teintée de religion", poursuit l’enseignant.
"Citoyen éclairé"
La conception de l’enseignement philosophique en France - obligatoire au lycée depuis 1808 - est directement héritée des philosophes des "Lumières", prônant notamment une universalité de la capacité de penser. Une manière de former des "citoyens éclairés" capables d’esprit critique. Dans ce sens, le programme de terminale "porte sur des notions que tout le monde peut comprendre, comme le bonheur, la justice, le travail, etc., affirme Simon Perrier. L’objectif est d’amener les élèves à réfléchir sur des acquis familiaux, sociaux ou scolaires. Il s’agit de les faire entrer dans une démarche philosophique, notamment en leur faisant rencontrer des textes et idées de philosophes."
Un enseignement, qui, selon Pierre-Henri Travoillot, président du Collège de philosophie à la Sorbonne, participe à un rapport particulier des Français à la question philosophique. "En France, la philosophie s’inscrit dans une culture très accessible : nos philosophes sont souvent écrivains, comme Jean-Paul Sartre. En Allemagne par exemple, il s’agit souvent d’érudits qui produisent des écrits difficilement compréhensibles", précise le professeur. Du coup, un certain nombre de personnes, qui ont pris goût à la vie littéraire, suivent désormais cours et débats proposés un peu partout en France. "Je suis estomaqué du nombre et de la qualité des rencontres philosophiques organisées jusque dans de tous petits villages en France, poursuit l'universitaire. Elles rencontrent un succès fou. S’il y a une raison d’être optimiste pour la France, c’est bien celle-ci."