logo

L'État français et le groupe Thales sont condamnés à verser 630 millions d'euros à Taïwan. La Cour d'appel de Paris estime qu'il y a bien eu des irrégularités liées au versement de commissions lors la vente de frégates en 1991.

AFP - Après dix ans d'une âpre bataille judiciaire, Thales et l'Etat français vont verser plus de 800 millions de dollars à Taïwan, après un arrêt rendu jeudi par la cour d'appel de Paris condamnant l'entreprise pour des commissions indûment versées sur la vente de frégates en 1991.

Le 29 avril 2010, un tribunal arbitral -une justice privée qu'utilisent souvent les entreprises pour régler leurs contentieux commerciaux- avait condamné Thales à verser à la marine taïwanaise 591 millions de dollars, plus les intérêts. Une somme totale évaluée par les deux parties à un peu plus de 800 millions de dollars, soit quelque 630 millions d'euros.

Les trois juges-arbitres, co-désignés par Thales et la marine taïwanaise, avaient condamné le groupe d'électronique et de défense pour avoir rémunéré des intermédiaires en vue d'obtenir la vente de six frégates Horizon à l'île chinoise nationaliste en violation du contrat, baptisé "Bravo": son article 18 interdisait en effet de rémunérer des intermédiaires sous peine de restitution à Taïwan des fonds versés.

Thales avait formé un recours.

Mais jeudi, la cour d'appel de Paris l'a débouté, estimant que, "contrairement à ce que soutient Thales, il n'apparaît pas que les arbitres aient méconnu l'ordre public international".

Dans un communiqué, le groupe a dit renoncer à se pourvoir en cassation. La décision est donc définitive.

Thales assure qu'il compte verser à Taïwan 170 millions d'euros, soit 27% du total, un versement déjà provisionné et qui ne devrait donc pas avoir un effet sur ses résultats financiers.

Bien que le groupe français ait été le chef de file de "Bravo", 73% du contrat des frégates revenait à la Direction des constructions navales (DCN devenue DCNS), entreprise publique dont l'intervention dans ce contrat était garantie par l'Etat.

Quelques minutes plus tard, les services du Premier ministre ont confirmé que l'Etat paierait le reliquat de la condamnation, soit 460 millions d'euros.

"Les finances publiques doivent donc supporter aujourd'hui les lourdes conséquences de la décision prise en 1991 de verser des commissions, contrairement à la lettre du contrat", a regretté Matignon.

L'avocat de la marine taïwanaise, Me Xavier Nyssen, se frottait les mains. "C'est une vraie satisfaction après tant d'années et une stratégie d'opposition systématique" de la part de Thales, a-t-il confié à l'AFP, tout en regrettant que le groupe ait "utilisé tous les moyens procéduraux possibles" pour échapper à sa responsabilité.

Dans son ordonnance de non-lieu dans l'affaire des frégates, le juge Renaud van Ruymbeke avait déjà évoqué un risque pour les finances françaises. Le magistrat financier, bloqué dans son enquête sur les bénéficiaires en France de rétrocommissions soupçonnées d'avoir été versées sur ce contrat, s'était vu opposer le secret défense à plusieurs reprises.

Dans le volet commercial, Taïwan avait sollicité en 2001 un tribunal arbitral après la saisie par la justice suisse de 520 millions de dollars de fonds appartenant à Andrew Wang, l'intermédiaire chargé de convaincre Taïwan de choisir les navires français.

L'enquête en Suisse a démontré que ces sommes avaient été versées par Thomson-CSF (devenu Thales) à Andrew Wang. Celui-ci a sans succès demandé à la Suisse de lui restituer ces fonds.

Si cet argent était finalement débloqué et remis à Taïwan, Matignon pourrait tenter de réduire la facture.

En effet, écrivent les services du Premier ministre dans leur communiqué, "le gouvernement français entreprendra parallèlement toutes les démarches auprès des autorités taïwanaises afin d'obtenir un remboursement au moins partiel dans l'hypothèse où celles-ci obtiendraient des intermédiaires la restitution de tout ou partie des commissions versées".