
Dans le second tome de ses Mémoires, l’ancien président français Jacques Chirac revient sur ses deux mandats et relate les relations complexes qu'il a eues avec son successeur Nicolas Sarkozy.
Pendant quatre ans, il n’a rien dit, esquivant poliment toutes les questions relatives à la gestion des affaires de l’État depuis son départ de l’Élysée. Mais à moins d’un an de la présidentielle de 2012 et à quelques mois de la reprise de son procès en correctionnelle pour une affaire d’emplois fictifs présumés à l’époque où il était maire de Paris, Jacques Chirac a choisi de revenir sur ses deux mandats dans le second tome de ses Mémoires ("Le temps présidentiel", éditions Nil).
Concernant les enquêtes judiciaires qui le visent pour des faits survenus lors de son mandat de maire de Paris et alors qu’il encourt jusqu’à dix ans de prison, Jacques Chirac y voit des "manipulations". "Les méthodes dont je parle relèvent d'une autre démarche, fondée sur des rumeurs, des campagnes de presse plus ou moins orchestrées, des imputations fabriquées sans scrupules pour servir des ambitions personnelles."
Dans le tome précédent ("Chaque pas doit être un but"), qui s’arrêtait à l’année 1995, date de son accession à la présidence, c’est Édouard Balladur qui était l’objet de critiques. Dans des extraits publiés ce mercredi par le Nouvel Observateur, et à paraître demain dans Le Point, l’ex-président rompt le silence à propos de Nicolas Sarkozy.
Une vision très différente de la politique
Il explique par exemple pourquoi en 2002, alors que certains conseillers avançaient le nom de Nicolas Sarkozy pour le poste de Premier ministre, il a renoncé, estimant qu’"il subsiste trop de zones d’ombre et de malentendus" entre eux deux.
En 2004, après l’échec de la majorité présidentielle aux élections régionales, il rejette de nouveau l’idée de faire accéder Nicolas Sarkozy à Matignon : "Nous ne sommes pas d’accord sur l’essentiel". "J’ai appris en travaillant avec Georges Pompidou que si Matignon et l’Élysée ne s’entendent pas, c’est l’implosion." "C’est ce qui se passerait inévitablement avec Sarkozy." Et d’ajouter : "Il est atlantiste et je ne le suis pas. Il est beaucoup plus libéral que moi sur le plan économique. Il est pour les discriminations positives et j’y suis radicalement opposé. Ça ne pourrait donc pas fonctionner."
Les déclarations controversées en 2005 à Argenteuil de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur, où il parle de nettoyer la cité des "racailles" à l’aide d’un "kärcher" font également réagir, six ans après, l’ancien président de la République : des "déclarations intempestives" dont "il faut se garder en pareilles circonstances", tranche-t-il.
Jacques Chirac déçu par Nicolas Sarkozy
Plus largement, Jacques Chirac décrit Nicolas Sarkozy comme un homme "nerveux, impétueux, ne doutant de rien et surtout pas de lui-même" mais loue aussi ses qualités : "sa force de travail, son énergie, son sens tactique, ses talents médiatiques, qui font de lui, à [ses] yeux, l’un des hommes politiques les plus doués de sa génération." Tout comme "son expérience gouvernementale, son dynamisme, son insatiable appétit d’action".
L’ancien président revient aussi sur les ambitions déclarées de Nicolas Sarkozy pour la présidence de la République. Il lui reconnaît "une qualité indéniable : celle d’avancer toujours à découvert." "Ses ambitions présidentielles sont vite devenues transparentes, à peine est-il arrivé place Beauvau (en 2002) […] mais je me suis aussitôt refusé à entrer dans le rapport de forces qu’il tentait d’établir entre nous, considérant que celui-ci ne pouvait être que destructeur pour nos institutions", écrit Jacques Chirac.
Enfin, Jacques Chirac se montre amer de ne pas avoir été cité dans le discours du vainqueur, le soir de l’élection alors qu’il avait apporté son soutien à Nicolas Sarkozy un mois avant la présidentielle de 2007 : "Au fond de moi, je suis touché et je sais désormais à quoi m’en tenir."
Concernant ses deux mandats, Jacques Chirac admet "une erreur". Elle concerne sa politique après le second tour du 21 avril 2002 où il l’emportait face à Jean-Marie Le Pen. "J’aurais sans doute dû tout mettre en œuvre pour constituer une équipe dirigeante plus représentative des 82 % d’électeurs qui m’ont apporté leur suffrage le 4 mai 2002. […] Je ne l’ai pas fait et ce fut probablement une erreur au regard de l’unité nationale dont j’étais le garant."